Ouvrage admiré par Berlioz et Liszt, Le Comte Ory se déroule dans un Moyen Âge de fantaisie qui traduit bien la fascination romantique pour les preux chevaliers et gentes dames de l’époque des croisades. Dans cette comédie mettant en vedette une sorte de Don Juan au petit pied et reposant sur le caractère fallacieux des apparences, le metteur en scène Jean-Romain Vesperini et le décorateur Bruno de Lavenère ont conçu un écrin scénique absolument ravissant qui évoque les célèbres enluminures des Très Riches Heures du duc de Berry des frères de Limbourg. Toiles peintes et châssis aux couleurs rutilantes nous transportent dans un univers extrêmement chatoyant où tout serait à décrire en détails, de l’élégant château de Formoutiers à la splendide tapisserie à la licorne, à la chambre minimaliste de la comtesse Adèle. Les superbes costumes stylisés d’Alain Blanchot participent de cette volonté de revisiter le Moyen Âge avec un plaisir gourmand, tout en ajoutant une touche coquine de bon aloi puisque la bure d’ermite d’Ory laisse voir avec ostentation les cuisses du faux moine et qu’Adèle trahit au premier acte ses pulsions sexuelles en laissant tomber brusquement sa pudique robe au profit d’une petite jupe infiniment plus flatteuse pour ses formes. En accord avec la tonalité légère de la pièce, Vesperini met en avant la libido débordante de ces personnages caricaturaux, mais sans jamais verser dans l’excès. Échappe toutefois à cet équilibre délicat le splendide trio du deuxième acte (« À la faveur de cette nuit obscure »), dans lequel Ory se retrouve au lit (déguisé en sœur Colette) avec Adèle et le page Isolier, lui-même travesti. Dans ce passage qui constitue le sommet de la partition, les ébats quasi acrobatiques des trois personnages atténuent en fait l’ambiguïté sexuelle qui devrait être suggérée lorsque la soi-disant religieuse déclare sa flamme à la fausse suivante sans se douter de sa méprise.

Devenu un fidèle de la compagnie québécoise, Laurent Campellone dirige avec beaucoup de finesse l’Orchestre symphonique de Québec, qui se coule avec naturel dans l’univers rossinien. Toujours attentif à ne pas couvrir les voix, il ne peut cependant éviter que certains chanteurs aient du mal à passer la rampe. Ainsi en est-il de Judith Fa, comtesse Adèle quelque peu sous-dimensionnée et dont l’agilité ne parvient pas à compenser le faible volume sonore et des aigus acidulés. Elle aussi peu audible au premier acte, Julie Pasturaud se ressaisit par la suite et fait entendre une voix intéressante de mezzo en dame Ragonde. Si Philippe Talbot met un certain temps à trouver ses marques, son comte Ory (documenté par un DVD C major enregistré à l’Opéra-Comique en 2017) laisse un souvenir bien plus vivace. Certes la voix est petite et quelques aigus auraient gagné à être émis en voix mixte, mais il se tire avec les honneurs d’un rôle particulièrement redoutable. Outre un physique élancé qui s’avère idéal pour le rôle d’Isolier, Florence Bourget possède un timbre chaud et très agréable. Tout à fait remarquable, le Raimbaud du baryton Jean-Kristof Bouton joint à une forte présence scénique un instrument souple et parfaitement projeté qui fait merveille dans son air « Dans ce lieu solitaire », d’une énergie contagieuse. On retrouve enfin avec bonheur Julien Véronèse, qui avait fait très bonne impression en Dulcamara (L’elisir d’amore, 2021) et dont le gouverneur bénéficie de la puissante voix de basse. En très bonne forme, les choristes ne contribuent pas peu à la qualité d’un spectacle globalement réjouissant, mais en partie déséquilibré par sa distribution inégale.

 

L.B


(c) Michel Gagné