Jean Giraudeau (Xerxès), Flora Wend (la Reine), Bernard Demigny (le Messager), Joseph Peyron (ténor solo), André Vessières (l'Ombre de Darius), Luvien Lovano (le Coryphée), Chœur et orchestre de la R.T.F., dir. Tony Aubin (1958).
CD Solstice Fy SOCD 301. Distr. Solstice.

On n'ose pas écrire que Maurice Emmanuel (1862-1938) est plus connu comme musicologue que comme compositeur car, pour la plupart, les étudiants des conservatoires ignorent jusqu'à l'existence de l'auteur l'Histoire de la langue musicale (1911). Mieux renseignés, les mélomanes curieux ont pu dénicher, au hasard des parutions discographiques, les Sonatines, les deux Symphonies et le Poème du Rhône. Il leur manquait encore Salamine, tragédie lyrique en trois actes forte et concise dont l'enregistrement radiophonique réalisé en 1958 (archivé par l'INA) n'a été diffusé sur les ondes que de loin en loin.

Le voici, toiletté autant que la technique le permet, avec une distribution digne de celle de la création à l'Opéra de Paris le 19 juin 1929 (qui réunissait Paul Franz, Marisa Ferrer et André Pernet sous la baguette de Philippe Gaubert). La qualité vocale, l'engagement et la superbe prononciation de Jean Giraudeau, Flora Wend, Bernard Demigny et André Vessières, sous la direction idiomatique de Tony Aubin (lui-même compositeur et ancien élève de Maurice Emmanuel, comme Jacques Ibert, Olivier Messiaen ou Henri Dutilleux), justifient cette édition et atténuent le regret d'une sonorité orchestrale et chorale si médiocre, grêle et confuse. De nos jours, les instruments seraient mieux captés mais les chanteurs de cette trempe ne s'y risqueraient pas.

La beauté, tantôt cuivrée et martialement abrupte, tantôt subtilement modale dans une écriture de musique de chambre, de cette adaptation des Perses d'Eschyle par le grand helléniste Théodore Reinach, ne permet guère d'envisager une reprise scénique tant l'action en est absente : les longues narrations parlées (en mélodrame) du Coryphée, l'immense récit, chanté, du Messager - dont le compositeur n'a dû venir à bout des interminables alexandrins qu'au prix d'une discipline drastique -, les déplorations navrantes de Xerxès, sont plus tragiques que dramatiques. Et encore, le compositeur n'a pas cédé à son collaborateur qui aurait voulu une alternance plus systématique de la parole et du chant propre au théâtre grec. Emmanuel, qui le savait aussi bien que lui, a profité de la mort de Reinach en 1928 pour condenser le texte, sans pour autant en faire un opéra comme l'Œdipe d'Enesco. Peut-être, d'ailleurs, n'avait-il pas un tempérament d'auteur lyrique : il écrit parfaitement pour la voix, respecte fidèlement la prosodie et l'articulation syntaxique des phrases mais, fuyant l'éloquence théâtrale, il laisse filer les mots sans offrir au chanteur la possibilité de leur faire passer glorieusement la rampe. Le récit du Messager et l'air de la Reine, surtout, sont plus proches du parlando que de l'arioso. Peut-être a-t-il pris modèle chez Monteverdi, mais avec un moindre génie du théâtre. Paul Dukas n'en écrira pas moins à son ami : « J'admire avec quelle maîtrise vous avez su ménager la progression musicale qui doit rendre sensible le terrible crescendo dramatique de ce puissant tableau d'horreur immobile ». Et c'est vrai.

G.C.