Deux semaines après Piccolo Marat à Nantes, nous revoici plongés dans la Révolution française, vue cette fois-ci au prisme d’une historiographie franchement contre-révolutionnaire. Outre les contresens historiques, le livret n’est pas d’une grande force – nombreuses incohérences dramatiques – et surtout nous gratifie d’une langue ampoulée et sans subtilité : « Notre mort est le triomphe de l’amour » – rien que ça ! – s’exclament en duo Chénier et Maddalena di Coigny avant de monter à l’échafaud. On rangera volontiers cet ouvrage dans la catégorie du grand spectacle, la musique est efficace, et – contrairement au livret – non dénuée de subtilités d’écriture et d’orchestration.
Venue de l’Opéra de Lyon, cette version de concert captive surtout par la mise en valeur des forces maison. L’orchestre fait preuve d’une belle cohérence et sonne très italien, avec une nervosité fauve et des couleurs bien nettes, ce qui ne l’empêche pas de s’illustrer avec délicatesse dans les sonorités sophistiquées du premier acte – qui se déroule dans une maison aristocratique. Les chœurs préparés par Benedict Kearns et forts sollicités – y compris par petits groupes solistes – donnent le meilleur pour incarner une foule tour à tour grondante puis hurlante, vindicative ou craintive. Daniele Rustioni dirige l’ensemble avec la fougue qu’on lui connaît, sans toutefois jamais céder à la gratuité du plaisir du son. Il embrasse la dimension théâtrale de la partition, joue habilement des suspensions de tempo grâce à une science experte de la pulsation, fait parler l’orchestration... bref, il livre une prestation magistrale.
Le plateau vocal, honnête et de bonne qualité, est toutefois en deçà d’une telle maîtrise. Riccardo Massi chante le rôle du poète en s’acquittant des notes mais sans aucune inspiration, Anna Pirozzi s’avère plus présente – les moyens sont impressionnants – mais si peu aristocratique, même si la souffrance du personnage est sensible. Enfin, le Gérard d’Amartuvshin Enkhbat peut se targuer d’une voix ample et sonore, d’un timbre flatteur, mais il limite son personnage à la brutalité, manquent le remord, la révolte, le courage et finalement l’amour. Parmi les autres rôles, signalons la Bersi de Thandiswa Mpongwana, beau timbre et jolie ligne, et l’Incroyable de Filipp Varik qui signe une belle incarnation entre méchanceté et ridicule, parfaite pour un rôle finalement assez important pour la dramaturgie de l’œuvre.
J.C