Marina Rebeka (Norma), Karine Deshayes (Adalgisa), Luciano Ganci (Pollione), Marko Mimica (Oroveso), Anta Jankovska (Clotilde), Gustavo De Gennaro (Flavio). Orquesta y Coro del Teatro Real, Madrid, dir. John Fiore.

Prima Classic. PRIMA022 (3 CD). Livret italien et anglais. Notice quadrilingue. Distr. Socadisc.

 

L’éminent musicologue Roger Parker a été sollicité par Marina Rebeka afin de rebattre les cartes de cette Norma qu’elle incarne pour son propre label. On saura gré à cet inlassable explorateur de partitions, au fil de leurs ébauches comme des avatars de leurs publications et interprétations successives, de reconnaître que celle qu’il a concoctée pour les présents interprètes ne prétend pas épuiser le sujet. L’essentiel de ses retouches concerne la complétude du terzetto de l’acte I, la partie de chœur de son final et les réminiscences de l’ouverture dans celui de l’acte II. Restituer à son héroïne la tonalité de sol majeur de « Casta Diva », hier abaissée d’un ton entier à la création par la Pasta, n’a rien d’original puisque Joan Sutherland la devançait dès 1964 dans l’intégrale Bonynge, elle-même revisitée. Distribuer à notre vaillante mezzo Karine Deshayes l’emploi de la très jeune amoureuse, à l’origine dévolu à une Giulia Grisi de 20 printemps, relève du seul souci d’opposer les couleurs de ces deux femmes, fût-ce a contrario de ce que Bellini avait imaginé ! Apte à étendre sa tessiture aux aigus arborés par la prêtresse, la vocaliste relève le gant, il est vrai, avec le talent qu’on lui connaît. Cette intégrale est dirigée par le très polyvalent John Fiore, chef américain habilement attaché à préserver les réminiscences rossiniennes le disputant ici aux élans romantiques. Reste que l’originalité de l’ensemble ne vaut in fine que par la prestation de ses vocalistes, solistes et chœurs compris, et disons-le, par le primat de la superlative soprane lettone en tête d’affiche.

 

Pollione, infidèle à la mère de ses enfants, l’est hélas également au profil souhaité par le compositeur d’une voix héritière des ténors barytonnants émettant leurs aigus en voix de tête, lui qui manque de grâce naturelle versus une projection trop roturière. Oroveso n’exigeant point une carrure d’exception, on créditera le jeune Marko Mimica, applaudi à Berlin avant Pesaro, d’une belle tenue crypto-rossinienne bien en situation. Récemment étonnante de brio en Imogène, celle qu’il convient déjà de nommer la Rebeka éblouit par l’alliance de charme élégiaque et de fureurs imparables qu’elle alterne depuis sa prière mythique à la Chaste déesse jusqu’à son ultime imploration, le tout pimenté de vocalises, ornementales ou passionnelles à l’endroit de l’immoral époux, voire de contre-ut dardés à la face de sa rivale. Les tensions déclamatoires, un temps préjudiciables à l’intégrité vocale de la Pasta, menacent certes çà et là l’intégrité d’un ambitus étiré entre si bémol grave et contre-ut mais sont après tout la rançon d’un investissement admirable. Le sublime de son sacrifice achève de convaincre du bien-fondé de cette énième intégrale discographique.

 

J.C