Carolina López Moreno (Santuzza), Giorgio Berrugi (Turiddu), Domen Križaj (Alfio), Eva Zaïcik (Lola), Elisabetta Fiorillo (Lucia), Balthasar Neumann-Choir & Orchestra, dir. Thomas Hengelbrock. Enregistré sur le vif, 2022, Concert Baden-Baden. Notice anglais-allemand, pas de livret.

Prospero Classical. PROSPOO88. Distr. Outhere.

Cette captation publiée en première mondiale met un point d’honneur à ressusciter l’opéra-phare du vérisme sous les atours que Mascagni désirait lui attribuer avant les modifications intervenues lors de sa création en 1890. Restituer aux parties vocales leurs tessitures originales, alors abaissées pour se plier aux exigences des chanteurs, rétablir les interventions du chœur dans leur intégralité : ces intentions musicologiques sont censées connaître ici leur juste récompense avant la publication prochaine de la partition revue et corrigée. Cela étant, l’audition du présent CD est seule à même de convaincre ou non de la plus-value de cette restauration, à l’aune des interprètes chargés de lui donner corps. Ceux-ci parviennent-ils à transcender les limites du concert pour nous faire vibrer au rythme de leur tragédie sicilienne ? L’ardeur impulsée à l’orchestre, aux chœurs et au plateau vocal est-elle de nature à les hisser au niveau des intégrales anthologiques d’une discographie déjà riche de trésors, quand bien même elle reposait sur une mouture infidèle aux équilibres initialement conçus par le compositeur ? Essentiels à la turgescence dramatique d’une intrigue passionnelle aux multiples facettes, l’engagement d’un orchestre urgent autant que malléable et d’un chœur à l’avenant, suggestif ou ardent, sont ici excellemment obtenus par leurs chefs respectifs. Les protagonistes emportés dans cet ouragan dramatique pondéré de lyrisme caressant sont peu ou prou à la hauteur des enjeux. Les transpositions au demi-ton inférieur accordées au couple vedette visaient moins l’étendue de leurs gammes que leurs sauts de registres. Le Turiddu incarné par le jeune Giorgio Berrugi est à l’évidence à l’étroit dans la tessiture et la dynamique de cet amant infidèle dont il ne possède pas vraiment la projection aiguë ni le soutien, celles hier de Caruso ! Si de son côté la mère d’icelui délivre un chant vériste au sens basique du terme et de vilaines inflexions, sa maîtresse, Lola, exhibe par bonheur les appas de sa voix de miel d’idéale manière. Domen Križaj en Alfio, son mari trompé, barytonne à l’envi sans surlignage expressif. Mais la palme d’excellence revient logiquement à la soprane Carolina López Moreno, apte aux nuances les plus caressantes versus un pathétique dardé d’aigus généreux, particulièrement admirable dans sa Prière, et plus généralement aux antipodes des mezzos tonitruantes qui s’emparaient du rôle dans les années 1950. L’artiste se montre ainsi digne de la première Santuzza, la Bellincioni, Traviata de légende.


J.C