Nantes, hiver 1793-1794. Jean-Baptiste Carrier, député de la Convention, règne sur la ville au moyen d’une politique répressive terrible : les Nantais suspectés de royalisme, de chouannerie ou de catholicisme sont noyés dans la Loire. L’épisode, terrible de cruauté, propose un cadre dramatique idéal pour un compositeur en quête d’émotions fortes, en ce début de xxe siècle où les scènes lyriques transalpines ont connu leur lot d’ouvrages d’inspiration réaliste (récusons le terme de vérisme, certes historique mais repris à la hâte pour qualifier la musique), grand-guignol ou encore historique. Mascagni y trouve une toile de fond propice à une intrigue politico-amoureuse. Mariella, la nièce de l’Ogre (avatar de Carrier), s’indigne des actes sanguinaires de son oncle mais prend garde de dissimuler ses convictions à la jeune recrue zélée, le « piccolo Marat », qui vient de faire son entrée parmi les « Marats », un bataillon révolutionnaire nantais, et qui accompagne partout son oncle. Ce jeune homme est en réalité un aristocrate en mission pour faire libérer sa mère des geôles nantaises. Il n’est pas le seul à s’élever contre l’Ogre, un soldat manifeste sa fidélité à une révolution pure et originelle en opposition à celle de Robespierre (sic). En effet, le livret, pourtant soucieux de situer l’action par de nombreuses références historiques (les diables noirs, la prison de l’Entrepôt, les clubs politiques…) est tributaire d’une historiographie anti-robespierriste que l’Opéra de Nantes-Angers a souhaité nuancer en conviant Jean-Clément Martin à donner une conférence en préambule à la représentation. Celui-ci a ainsi pu rappeler l’opposition farouche entre Carrier et Robespierre, ce dernier ayant eu vent des exactions commises par Carrier, mit fin à ses fonctions – et donc à la répression. Rappelons aussi, loin des caricatures, que Robespierre mit aussi un terme aux persécutions à l’encontre des prêtres réfractaires, à ce sujet on recommandera la lecture de Robespierre : La fabrique d’un monstre de Jean-Clément Martin. En outre, un heureux hasard du calendrier veut que l’exposition « Paris 1793-1794. Une année révolutionnaire » s’ouvre le 16 octobre au Musée Carnavalet, comme prolongement idéal de ces représentations.
En 1921, Mascagni est pris dans des enjeux politiques différents, au sortir du Biennio rosso, deux années d’activité révolutionnaire intense en Italie, et quelques années après la révolution bolchevique, le spectre de la Révolution représente une menace pour l’ordre bourgeois qui est célébré comme la « révolution pure » par le Soldat, icône d’une armée italienne vainqueure des armées autrichiennes, mais se sentant bafouée par la « vittoria mutilata » des traités de paix qui suivirent la fin de la première guerre mondiale. Musicalement, il cultive une voie singulière, pas de mélodisme ni d’éclat, mais une recherche de parler-chanter et de couleurs harmoniques originales. L’orchestration fait la part belle aux couleurs sombres, à des doublures instrumentales qui évoquent le lugubre (prévalence des instruments graves comme la clarinette basse, des sonorités éteintes, des trombones avec sourdine, et des doublures volontairement creuses). Si le premier acte est un peu bavard et contourné dans l’exposition des faits, les deuxième et troisième actes sont mieux ficelés, et cela s’en ressent musicalement, l’invention et la variété y sont plus importantes.
On sait gré à l’Opéra de Nantes-Angers d’avoir programmé cette œuvre, dont la représentation permet de saisir le développement de l’invention musicale en Italie – loin du conservatisme musical auquel on souhaite parfois la résumer. Il est certes difficile d’être contemporain de Puccini mais Mascagni ne manque pas d’inspiration et cet opéra – plus que Cavalleria rusticana – pave le chemin vers des écritures plus audacieuses comme celles de Riccardo Zandonai.
Mario Manicagli, qui a déjà dirigé l’œuvre à Livourne – tout comme une grande partie du catalogue mascagnien –, officie à la tête de l’orchestre national des pays de la Loire. Malheureusement, deux jours de répétition et une direction trop générique – plans sonores écrasés les uns sur les autres, manque de soin accordé aux raffinements de la partition et battue sans respiration – n’offrent qu’un résultat insatisfaisant. De la même manière, les chœurs dirigés par Xavier Ribes chantent en force, comme s’il fallait d’abord assurer les notes et le rythme avant de prendre soin de la musique. La distribution réunit des artistes méritants, investis et qui s’acquittent de leurs rôles avec une probité exemplaire. Le piccolo Marat de Samuele Simoncini convainc mieux dans la douceur et le legato qui mettent en valeur une voix lumineuse, chargée d’harmoniques mais qui montre ses limites dans les élans de vaillance. L’Ogre d’Andrea Silvestrelli peut se targuer d’une belle voix, chaleureuse et sonore mais le chant est trop souvent approximatif. La Mariella de Rachele Barchi manque d’harmoniques, dès lors le chant – certes impeccable – retombe trop souvent à plat. Parmi les rôles secondaires, on retiendra surtout le Soldat honnête du baryton Matteo Lorenzo Pietrapiana.
Même si les moyens mis en œuvre sont limités – on doit se contenter d’une mise en espace, astucieuse et cohérente, alors que Sarah Schinasi a aussi signé la production mise en scène à Livourne – et parfois insatisfaisants, on doit bien admettre que la soirée s’avère tout de même enthousiasmante, car au plaisir de la découverte s’adjoint celui d’une représentation bien faite, tirant parti au mieux des moyens à disposition.
J.C
(c) Garance Wester pour Angers Nantes Opéra