Tempu Ishijima (Amahl), Dshamilja Kaiser (la mère d’Amahl), Paul Schweinester (Kaspar), Nikolay Borchev (Melchior), Wilhelm Schwinghammer (Balthazar). Chœur Arnold Schoenberg et Orchestre symphonique de Vienne, dir. Magnus Loddgard, mise en scène : Stefan Herheim (Theater an der Wien, 17 et 18 décembre 2022).

Naxos 2.110763. 1 DVD. 55 min. Notes et synopsis en anglais et allemand, sous-titres anglais et allemands. Distr. Outhere.

Premier opéra composé pour la télévision, Amahl et les visiteurs de la nuit jouit d’une grande popularité aux États-Unis depuis sa création par Thomas Schippers à la NBC le soir du 24 décembre 1951. Associée au temps de Noël, d’une durée d’à peine cinquante minutes et mettant en scène un petit berger infirme, l’œuvre constitue souvent là-bas le premier contact d’un jeune public avec l’univers lyrique, au même titre que Casse-Noisette pour le monde de la danse. Beaucoup moins connu en Europe que de l’autre côté de l’Atlantique, Amahl est cependant particulièrement apprécié en Norvège, comme nous l’apprend Stefan Herheim dans les notes accompagnant le DVD. C’est donc tout naturellement que le metteur en scène (né à Oslo) a proposé ce titre à la direction du Theater an der Wien pour inaugurer en 2022 une nouvelle série d’opéras destinés à un public familial et programmés en décembre de chaque année. L’opéra est ici chanté dans la traduction allemande de Kurt Honolka.

Renouvelant notre regard sur un conte qui gravite autour de la visite des trois rois mages, Herheim transpose l’intrigue à notre époque dans un hôpital, où Amahl reçoit des soins pour un cancer en phase terminale. Devant l’enfant au crâne dégarni et revêtu d’une jaquette blanche, on ne peut s’empêcher de penser à La bohème du même Herheim donnée à Oslo en 2012 (DVD Naxos), où Mimì rend l’âme dans une clinique d’oncologie. Le réalisme cède toutefois rapidement le pas à une atmosphère surnaturelle lorsque les cloisons de la petite chambre du malade s’écartent pour laisser place à un ciel nocturne où brille l’étoile de Behtléem, de laquelle descend un élégant escalier courbe dont on ne perçoit que les marches blanches. Le médecin, l’infirmier et l’aumônier se dédoublent dans l’imagination d’Amahl en Kaspar, Melchior et Balthazar. Ceux-ci sont accueillis dans la liesse générale par des parents qui dansent avec des anges descendus de l’étoile. Ce sont tous des enfants morts du cancer qui laissent présager le sort d’Amahl : plutôt que de guérir miraculeusement de sa claudication, le garçon devient à son tour un ange et quitte sa mère non pas pour suivre les rois mages, mais pour aller rejoindre la cohorte céleste. Après ses adieux attendris, Amahl gravit lentement l’escalier qui le mène à l’étoile ayant précédemment guidé les visiteurs jusqu’à l’enfant-roi. D’une remarquable beauté poétique, ces images traduisent une réconciliation apaisée avec la mort, aussi bien pour l’enfant que pour sa mère.

À cette superbe réussite scénique correspond une interprétation musicale de haute qualité. Sans faire oublier le merveilleux Chet Allen, créateur du rôle qu’on peut voir sur YouTube dans la télédiffusion de 1951, Tempu Ishijima est un Amahl particulièrement touchant dans son jeu et son chant. On peut toutefois s’étonner des quelques sautes d’humeur intempestives que le metteur en scène exige de sa part. D’une bonté infinie, la mère de la mezzo Dshamilja Kaiser n’appelle que des éloges, tout comme les trois mages campés avec beaucoup de jovialité par Paul Schweinester, Nikolay Borchev et Wilhelm Schwinghammer. À la tête de l’Orchestre symphonique de Vienne et du Chœur Arnold Schoenberg, le chef norvégien Magnus Loddgard se coule avec bonheur dans l’atmosphère tour à tour pastorale, festive puis finalement recueillie d’une partition au grand pouvoir de séduction.

 

L.B