Sept ans après une Cenerentola débordante de fantaisie et de couleurs qui avait laissé un excellent souvenir, l’Opéra de Montréal présente une seconde production de Joan Font qui suscite beaucoup moins d’enthousiasme. Encombré d’une douzaine de figurants qui parasitent en bonne partie l’intrigue de Beaumarchais, son Barbier de Séville (d’abord présenté à Houston en 2011) peine à trouver le ton juste de cette pièce si clairement inspirée de la commedia dell’arte. Pendant tout le spectacle, on se demande en effet quelle peut bien être la nécessité dramaturgique de tous ces personnages qui restent soit longuement immobiles ou qui s’agitent pour on ne sait trop quelle raison. Ainsi, la domesticité du vieil avare Bartolo semble-t-elle composée d’une véritable armée qui s’affaire à des tâches d’une utilité douteuse, comme celle de peindre en blanc les feuilles d’un arbre qui occupe tout l’espace d’une immense fenêtre... Trop longtemps plongé dans le noir au début de l’œuvre, le décor se révèle assez curieux, les murs de la maison de Bartolo se limitant à des cloisons recouvertes d’un tissu noir translucide. L’appartement de Rosina semble se réduire à une passerelle, tandis que le rez-de-chaussée n’a pour tout meuble qu’un gigantesque piano rose qui sert aussi bien de secrétaire que de plate-forme pour la séance de rasage. De cette mise en scène assez peu inventive, on retient néanmoins la belle scène de l’orage, où le vent agite violemment les branches de l’arbre dans lequel s’est retrouvé coincé le chapeau d’un quidam. L’air de la calomnie donne lieu quant à lui à une pantomime intéressante qui voit un personnage se retrouver peu à peu prisonnier de ficelles qui, tirées à la fin par les figurants, le dévêtent brusquement en donnant une idée des effets dévastateurs de la médisance collective.
Sur le plan musical, le plaisir s’avère lui aussi partiel. Sous la direction de Pedro Halffter, l’Orchestre Métropolitain commence très bien la soirée avec une ouverture pétillante et généreuse en nuances. Par la suite, le côté primesautier de la comédie se manifeste de façon intermittente. Il faut en fait attendre les airs de Figaro et de Bartolo ainsi que le finale du premier acte pour que la magie opère enfin à plein régime. À la décharge du chef, il faut reconnaître que les solistes forment une équipe peu homogène et diversement rompue aux exigences du chant rossinien. Avec son timbre velouté, son phrasé exemplaire et son merveilleux legato, Hugo Laporte est un Figaro de grande classe. D’une relative sobriété, l’acteur ne brûle peut-être pas les planches comme d’autres barbiers qui possèdent plus naturellement la vis comica du personnage, mais il rallie les suffrages par la qualité de son interprétation. Dans ses débuts à Montréal, Omar Montanari est le véritable triomphateur du spectacle : il campe un Bartolo truculent à souhait doté d’une magnifique voix de baryton bien projetée et qui se rit des passages prestissimo de « A un dottor della mia sorte ». S’il fait entendre un grave solide et un riche médium, l’amusant Basilio de Gianluca Margheri éprouve quelques difficultés dans l’aigu qui viennent entacher la fin de son air. Il est cependant davantage dans son élément que Pascale Spinney, mezzo à la puissance impressionnante mais dont la vocalité ne convient guère au bel canto. Pour l’apprécier à sa juste valeur, il faudrait sans doute la découvrir dans d’autres répertoires, qui exposent moins la disparité entre les registres, l’émission inégale et une virtuosité insuffisamment ébouriffante. Elle devrait en outre éviter certaines ornementations peu heureuses. À cet égard, l’Australien Alasdair Kent verse carrément dans l’outrance en défigurant ses airs, en particulier le délicat « Se il mio nome » qui devient ici méconnaissable. Devant pareil étalage d’un goût pour le moins douteux, on pense à Rossini qui, dubitatif après avoir entendu « Una voce poco fa » transposé et orné sans vergogne par Adelina Patti, s’exclama : « Très joli, Madame, mais qui est le compositeur ? » C’est d’autant plus dommage que ce tenore di grazia, capable par ailleurs de raffinements exquis, malmène trop souvent son instrument en voulant donner plus de volume qu’il ne le peut. Parmi les rôles secondaires, se distingue moins la Berta de Bridget Esler (privée de son air) que le très bon officier de Jamal Al Titi. Après ce Barbier qu’on aurait souhaité plus réjouissant, espérons que la production d’Hamlet en novembre prochain saura nous réserver des moments plus mémorables.
L.B
(c) Vivien Gaumand