Liudmyla Monastyrska (Manon Lescaut), David Bižić (Lescaut), Gregory Kunde (Des Grieux), Carlos Chausson (Geronte), Mikeldi Atxalandabaso (Edmondo), Symphony Orchestra & Chorus of the Gran Teatre Del Liceu, dir. Emmanuel Villaume. Mise en scène : Davide Livermore.
C Major 766404 (1 DVD). Distr. DistrArt Musique.
L’inévitable adaptation théâtrale de cette Manon Lescaut originellement située dans notre XVIIIe siècle, ici transposée dans le XIXe siècle italo-américain, est si richement vêtue qu’elle ne saurait choquer un public bienveillant. Le turinois Davide Livermore, metteur en scène et co-réalisateur des décors, anime au sens le plus fort du mot cette spectaculaire production. Le tourbillon de couleurs, de costumes et d’agitation théâtrale, qui emporte un ensemble fouetté par un chef ô combien dynamique, transcende jusqu’aux inventions les plus discutables. Ainsi de cette gare qui au premier acte voit s’enfuir le couple des amants dans une locomotive, versus la très esthétisante vidéo suggérant bientôt l’éloignement de Manon sur un bateau nimbé de brume. Ainsi encore du prologue parlé encombré de ce double de Des Grieux (sic !) censé venir se recueillir sur le lieu d’accueil des italiens réfugiés en Amérique lors de la grande migration des années 1900, cadre temporel choisi par le maître d’œuvre de cette relecture. L’unanimisme louangeur de la critique envers la distribution vocale réunie par le Liceu barcelonais ne cesse en revanche de nous étonner.
Le couple vedette est à cet égard particulièrement sujet à caution. Comment ne pas voir et entendre que le Des Grieux du ténor Gregory Kunde éprouve d’insignes difficultés à camper cet affriolant séducteur, lui qui la soixantaine passée ne saurait convaincre en jeune premier dont la voix décolorée et les aigus surlignés ne sont pas dignes de son passé artistique. Encore moins de la filiation qui de Caruso et Gigli à Bergonzi et Domingo impose ses critères. Seule une soprane gracile dotée d’une émission fluide et malléable est à même de conférer à Manon cette alliance d’aguicheuse transparence et d’élans passionnels, atouts refusés à Liudmyla Monastyrska, souvent applaudie en Lady Macbeth verdienne, aux antipodes de sa présente héroïne. La mezza voce sostenuta de sa déréliction finale vient heureusement pondérer nos reproches. Cette assomption, jointe aux mérites du chef, des chœurs et de seconds rôles en situation tel le vétéran Carlos Chausson, valident notre troisième cœur.
J.C