Pour ouvrir sa saison 2024-2025, l’Opéra Ballet des Flandres reprenait la production de Madama Butterfly, créée en 2021 à l’Opéra du Rhin. À l’instar de Roland Barthes qui voyait dans La Dame aux Camélias, non pas l’histoire d’une passion amoureuse mais celle du désir de reconnaissance de l’héroïne, Mariano Pensotti a voulu voir dans le destin de Butterfly celle de la recherche d’une autre identité de Cio-Cio San. Dans une sorte de mise en abyme, sa mise en scène est devenue le reflet d’un récit parallèle, celui de la vie de la metteuse en scène japonaise (fictive) Maiko Nakamura, dont des textes projetés au fil des actes nous racontent l’itinéraire. Au cours du montage d’une production de l’opéra de Puccini (dont elle est devenue une spécialiste), elle découvre qu’après trente ans de vie en Europe, elle a perdu tout lien avec ses origines et tente désespérément de les retrouver, finissant comme l’héroïne de Puccini par se suicider. Bien sûr, l’histoire du Japon, notamment le traumatisme de la bombe de Nagasaki et l’impossible oubli sont omniprésents et constituent ce « refoulé » qui, au final, fera brutalement retour dans sa conscience et déterminera le sentiment d’un échec total. La scénographie de Mariana Tirantte élimine tout élément de japonisme au profit d’une vision symbolique, quasiment abstraite, dans un décor entièrement en noir et blanc. Elle met au centre du plateau nu, la forme d’une maison stylisée dont les transformations (du bloc noir impénétrable du premier acte à son image renversée au dernier en passant par un subtil jeu de verrières au deux) concrétisent les phases du destin de Butterfly et de la metteuse en scène. Renforcé de quelques vidéos - des images du passé familial dans un miroir d’eaux mouvantes en ouverture ou une errance nocturne dans les rues d’une ville japonaise - ce dépouillement se révèle esthétiquement assez séduisant. On regrette toutefois le choix de costumes « stylisés » dont la sophistication, dans le cas de l’héroïne, frisent le ridicule, de cet « empaquetage » de la robe de mariée du premier acte à la robe de cocktail vaporeuse qui en fait le double de Kate Pinkerton dans la scène finale. À cette réserve près, le concept fonctionne plutôt bien mais le double récit crée une distance avec la tragédie elle-même et glace toute forme d’émotion, malgré une direction d’acteurs particulièrement affûtée.
Dans le rôle-titre, la soprano belgo-albanaise Ana Naqe se révèle particulièrement engagée, mûrissant son personnage au fil des actes et compensant un petit déficit dans le registre grave par une superbe musicalité doublée d’une expressivité captivante qui lui valent un beau succès au rideau final. En Pinkerton, le ténor polonais Łukasz Załęski laisse une sensation mitigée au premier acte avec des aigus systématiquement pris en-dessous et forcés mais il dissipe cette désagréable impression dans son air du dernier acte. Belle voix chaleureuse de baryton-basse, Vincenzo Neri confère beaucoup d’humanité à Sharpless. La Suzuki de Lotte Verstaen fait une forte impression par son incarnation sensible et engagée. Parmi les petits rôles, on distinguera le Goro de Denzil Delaere dont le beau ténor lyrique et l’italien impeccable pourraient sans doute prétendre à un rôle principal ainsi que l'imposant Zio Bonzo de Nika Guliashvili, le reste de la distribution étant assumé de façon inégale par les membres du jeune ensemble de l'Opéra Ballet. Dans la fosse, la cheffe Daniela Candillari tire le meilleur de l’orchestre symphonique de l’Opéra Ballet offrant à l’œuvre de Puccini cette poésie et ces coloris que lui refuse une mise en scène certes très aboutie mais qui sollicite l’intellect et la réflexion du spectateur plus que son émotion.
A.C
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