En conclusion de cette 45e édition exceptionnelle par la densité de son programme, le festival célébrait le 40e anniversaire de la recréation du Viaggio a Reims, par une version de concert réunissant quelques grands noms des éditions récentes. Depuis sa résurrection en 1984 par Claudio Abbado et Luca Ronconi, la cantate scénique est devenue son œuvre emblématique et en a porté la réputation à travers le monde, grâce à l’enregistrement réalisé alors sur le vif par Deutsche Grammophon. Pour qui connaît cette version « originale », les comparaisons sont inévitables. La Corinne de la phénoménale Vasilisa Berzhanskaya  est d’un tout autre format que Cécilia Gasdia. Avec d’impressionnants graves de mezzo et des sons filés pénétrants, elle a tout d’une Ermione et semble ne devoir faire qu’une bouchée du Belfiore trop mécanique de Jack Swanson dans leur duo. Il lui manque toutefois cette touche de sublime qui caractérisait l’interprétation de sa devancière dont son improviso final tente de s'approcher. Erwin Schrott n’a pas l’élégance voulue pour l’érudit Don Profondo et, curieusement, le Baron de Trombonok ne s’incarne guère dans un Nicola Alaimo qui paraît sur la réserve. Michael Mofidian, si prometteur dans Ermione, délivre un Lord Sidney terriblement scolaire et monochrome, bien loin de la mythique interprétation de Samuel Ramey. Sans détailler la totalité de la distribution, on peut accorder tout de même quelques satisfécits : au Don Alvaro impeccable de Vito Priante, à Jessica Pratt, remplaçant in extremis Nina Minasyan en Comtesse de Folleville, à Karine Deshayes, délicieuse Madama Cortese pleine de malice, et à Dmitry Korchak, Libenskof plein de bravoure, formant un excellent duo avec la Marquise Melibea à la longue voix homogène de Maria Barakova, aussi séduisante en aristocrate polonaise qu’en Ernestina de L’equivoco.

Au fond, la relative frustration que laisse ce concert n’est pas due à une quelconque insuffisance des solistes qui, pour la plupart, chantent aussi bien, sinon mieux, Rossini que leurs devanciers, mais au fait que bien peu d’entre eux ne s'identifient  vraiment à leur personnage et que l’ensemble, très inégal, malgré l’excellente direction de Diego Matheuz, peine à renouveler la sensation de découverte et d'émerveillement d'une œuvre sans pareille par son humour et sa virtuosité. C'est plutôt dans le spectacle conçu par Emilio Sagi pour les élèves de l'Accademia rossiniana Alberto Zedda et repris chaque année depuis 2001 que l'esprit même du festival semble s'être le mieux conservé. Cette production, modeste et inventive, défendue chaque année par deux distributions différentes, reste la meilleure promesse d'avenir et le vivier où le festival doit aller chercher les forces vives, susceptibles de le préserver de cette tendance à se figer qui guette les grandes manifestations internationales. Le programme 2025 verra un retour à la normale avec trois productions dont deux nouvelles : Zelmira mise en scène par Calixto Bieito (un nom qui fait frémir la partie la plus traditionnelle du public), L'Italiana in Algeri par Rosetta Cucchi (dont le nom circule pour succéder à Ernesto Palacio à la surintendance) et la reprise du Turco in Italia de Davide Livermore.

 

A.C


(c) Amati Bacciardi