Avec Ermione dont la dernière production in loco remontait déjà à 2008, Johannes Erath fait une entrée fracassante dans les annales du festival. Sa mise en scène exploite avec une remarquable intelligence l’immense scène de l’Arena Vitrifrigo dans un dispositif utilisant de façon très subtile la vidéo pour donner un arrière-plan à l’action, en évoquant le passé des protagonistes, tous enfants des « héros » de la guerre de Troie, rendus, par cet héritage, incapables d’aimer autrement que de façon névrotique et destructrice. Il fait d’Astyanax la victime du conflit qui les oppose et que chacun maltraite, y compris sa propre mère qui prétend le sauver, mais le sacrifie en fait à son propre orgueil. Les quatre confidents ont été réunis dans un groupe unique, quelque part entre chœur antique et démons, poussant les protagonistes chaque fois un peu plus loin dans la voie de la destruction et jouissant de leur souffrance. Dans une intrigue où « l’amour » rivalise avec le politique, le metteur en scène le fait exister dans un personnage allégorique dont la flèche peut se transformer en arme meurtrière et qui finit par être totalement éliminé, la fin laissant entendre que tous les protagonistes de la tragédie périssent, y compris Oreste, écrasé par le chœur et que seule demeure Ermione emprisonnée dans sa solitude. L’ensemble se déploie dans une esthétique de cour décadente qui conviendrait aussi bien à une Salomé et qui résonne parfaitement avec la modernité de l’opéra de Rossini où violence et désir se confondent comme dans l’extraordinaire duo d’Ermione et d’Oreste au premier acte.
Dans le rôle-titre, Anastasia Bartoli se montre une authentique rossinienne et la digne héritière de sa mère qui fut en son temps une remarquable Ermione. Elle possède une étendue vocale impressionnante, un grave nourri et un aigu tranchant, avec un sens de l’ornementation et une véhémence qui n’exclut pas une authentique sensibilité dans le lamento qui précède sa scène de fureur au dernier acte. En Pirro, Enea Scala impressionne par la puissance et la largeur de l’émission mais une certaine monochromie et une tendance à chanter forte en permanence, malgré quelques moments plus nuancés, finit par lasser un peu l’auditeur. Si Juan Diego Florez a perdu avec les années un peu de mordant dans l’aigu, ce qui est particulièrement sensible dans son air d’entrée, il se rattrape largement par un phrasé de rêve dans les moments lyriques et on ne lui reprochera qu’une tendance un peu trop appuyée à jouer les « latin lovers », peut-être voulue par le metteur en scène. Enfin, Victoria Yarovaya est une Andromaque pleine de dignité à la voix chaleureuse et au chant très soigné. On distinguera particulièrement parmi les comprimari le Fenicio du baryton-basse Michael Mofidian aussi convaincant vocalement que par son jeu scénique. Antonio Mandrillo manque en revanche un peu de personnalité en Pilade. Sous la direction, comme toujours remarquablement équilibrée, de Michele Mariotti, l’orchestre national de la Rai exalte la brillante orchestration de Rossini et le chœur du Teatro Ventidio Basso donne le meilleur de lui-même pour une production qui soulève l’enthousiasme du public, au moins pour ce qui concerne les interprètes.
A.C
(c) Amati Bacciardi