Pour sa 45e édition, le Rossini Opera Festival avait mis les petits plats dans les grands avec quatre productions en alternance sur seize jours dont deux nouvelles et deux reprises, contre les trois habituelles. À ce copieux programme venaient s’ajouter de nombreux concerts lyriques (Gregory Kunde et Daniela Barcellona) et récitals (Sara Blanch et Giorgio Caoduro), ainsi que l’inauguration du nouvel auditorium Scavolini en centre ville, attendu depuis la fermeture du Palafestival en 2005 et, avouons-le, bien décevant quant à l’aspect esthétique et au confort des spectateurs. Pesaro désirait ainsi se montrer à la hauteur de son titre de capitale italienne de la culture 2024.
Premier de la série des quatre opéras, Bianca e Falliero a déjà connu deux productions in loco. La première qui réunissait Katia Ricciarelli, Marilyn Horne et Chris Merritt en 1986 fait partie de la légende dorée de la Rossini Renaissance ; la seconde de 2005 est loin de figurer parmi les moments mémorables de son histoire. Ce melodramma en deux actes, créé à la Scala de Milan en décembre 1819, deux mois à peine après La Donna del Lago (dont le compositeur recycle habilement le rondo final), souffre d’un livret totalement statique dont les deux actes reproduisent la même situation et d’une partition encore tributaire des poncifs et des formes conventionnelles de l’opéra seria avec son alternance de numéros fermés et de récitatifs secs. Le meilleur est à trouver dans les ensembles, notamment le très habile finale du premier acte introduit par un trio suivi d’un quatuor pour s’achever sur une strette trépidante du plus bel effet. De même, le très beau quatuor qui précède le second finale figure parmi les moments les plus captivants. Les duos amoureux offrent évidemment aux interprètes des occasions de briller mais tout comme les airs solistes, ils ne laissent guère de traces. On y retrouve un scénario proche de celui de Tancredi et de la plupart des opéras de cette veine : les amours contrariés des deux héros. Bianca (soprano) amoureuse et aimée de Falliero (mezzo-soprano en travesti) que son père (ténor) a promise à Capellio (basse) et qui, prise entre son devoir filial et son amour, finira par triompher de l’adversité grâce à la persévérance et à l’esprit de sacrifice de son amant. Il faudrait un dramaturge de génie pour animer une telle platitude que la musique de Rossini elle-même ne parvient pas à faire vivre. Jean-Louis Grinda en propose une vision platement illustrative, dans un décor pesant et sinistre de cloisons mobiles, censé sûrement représenter le climat d’oppression de la République vénitienne, quelque part dans une temporalité qui nous renvoie aux années 1930-1940. Il utilise des images de la guerre civile espagnole pour évoquer celle qui règne au début de l’opéra, en totale contradiction avec le peuple endimanché qu’il nous présente sur le plateau. Il se risque aussi dans quelques touches de modernité sans nécessité, tel ce personnage de femme âgée aveugle qui accompagne partout Bianca comme une sorte de double ou d’image du destin auquel la promet son père, un élément dont il ne fait pas grand chose. Pour le reste, sa direction d’acteurs ne dépasse pas une simple mise en place.
Du côté des chanteurs, la Bianca de Jessica Pratt ne pèche ni du côté de la virtuosité, ni de l’expression, se montrant capable de magnifiques cantabile et de pianos très expressifs, mais ses aigus forcés et stridents sont affaire de goût et elle paraît un peu imprécise et fatiguée dans la seconde partie, dissipant cette impression dans un rondo final remarquablement maîtrisé. Aya Wakizono n’est pas exactement le mezzo-contralto attendu pour Falliero pour lequel il lui manque un registre grave plus développé, mais elle adapte le rôle à ses moyens et ne manque ni de musicalité ni d’abattage. Quelque peu charbonneuse dans le premier acte, la basse de Giorgi Manoshvili se libère de sa gangue dans le deuxième au point que l’on se demande s’il s’agit bien du même chanteur. Dimitry Korchak n’est pas non plus un baritenor comme le voudrait la typologie du rôle mais si l’on peut regretter une certaine sécheresse du timbre, force est de reconnaître que le ténor russe fait front face au rôle assez uniforme de Contareno. D’excellents seconds rôles complètent ce plateau qui, associé à la direction diligente et raffinée de Roberto Abbado, ne parvient pourtant pas à dissiper une certaine impression de longueur d’un opéra qui ne demande pas loin de trois heures trente pour arriver à son dénouement, aussi attendu que parfaitement artificiel.
A.C
(c) Amati Bacciardi