C’est en apothéose que s’est terminée la 47e édition du Festival de Lanaudière, qui présentait une version concert d’Aida absolument mémorable. Exceptionnelle à tous égards, cette exécution réunissait pas moins de six vedettes du Metropolitan Opera, dont trois (Angel Blue, Judit Kutasi et Morris Robinson) feront partie de la nouvelle production de Michael Mayer qui prendra l’affiche à New York le 31 décembre prochain. Yannick Nézet-Séguin a ainsi pu donner un avant-goût musical de ce que sera cette Aida, qui devait d’ailleurs inaugurer en septembre 2020 sa première saison au Met à titre de directeur artistique. S’il faut bien sûr déplorer les multiples reports occasionnés par la pandémie, avouons que notre attente a été en revanche amplement récompensée par une exécution à marquer d’une pierre blanche.

Saluons d’abord la direction tour à tour martiale, élégiaque et fiévreuse du chef, qui possède au plus haut degré l’art de galvaniser ses troupes – en l’occurrence le Chœur et l’Orchestre Métropolitain – et de porter la tension dramatique à son paroxysme. Rarement aura-t-on entendu scène du triomphe aussi exaltante, comme en témoigne avec éloquence l’accueil particulièrement enthousiaste du très nombreux public pendant (!) et à la fin du deuxième tableau du deuxième acte. Les scènes d’intimité sont elles aussi admirables dans le soin apporté à la finesse de l’instrumentation, comme dans l’acte du Nil, où les bois et le frémissement des cordes concourent à créer une atmosphère tout simplement envoûtante.

En Aida, Angel Blue se hisse au rang des plus grandes interprètes du rôle grâce à un instrument qui, en plus de dominer sans difficulté les imposantes masses chorales et instrumentales, est capable des pianissimi les plus suaves. D’une grande pureté, l’aigu est d’une belle rondeur, jusque dans le magnifique contre-ut de « Oh, patria mia ». À ces qualités il faut ajouter un superbe legato et une justesse impeccable dans l’expression. Seok Jong Baek, qui fut déjà son Radamès en mai 2023 à Covent Garden, est un ténor au format héroïque qui impressionne par l’éclat de son timbre. La fin de « Celeste Aida » inspire toutefois quelques appréhensions en raison d’un si bémol aigu qu’il n’arrive pas à maintenir dolce et qui vient rompre cet instant de grâce. Heureusement, il se ressaisit par la suite et parvient à nuancer son chant, en particulier dans le duo final, où il se fait extatique. L’Amneris passionnée de Judit Kutasi fait entendre un grave sonore à souhait, un médium très riche et un aigu souvent percutant. Certains passages la trouvent curieusement peu audible et le vibrato s’avère parfois assez large. Cela dit, son imprécation contre Ramfis et l’ensemble des prêtres à la fin de l’avant-dernier tableau est d’une grande intensité. Pour sa part, Ambrogio Maestri donne une véritable leçon de chant en Amonasro aux accents fiers, puis terrifiants lorsqu’il menace de renier sa fille si elle refuse de lui obéir pour sauver la patrie. Également remarquable, Alexandros Stavrakakis est un Ramfis autoritaire à la somptueuse voix de basse. Malgré sa forte présence scénique, Morris Robinson est un roi moins convaincant, principalement à cause d’un italien perfectible. Outre l’excellent messager de Matthew Cairns, la distribution est complétée par Sarah Dufresne, grande prêtresse au timbre cristallin et d’une précision parfaite. Devant pareille réussite, il faut se féliciter de la fructueuse collaboration entre le Met et le Festival de Lanaudière, de même que de la fidélité de Yannick Nézet-Séguin envers le public québécois.


 L.B


 Angel Blue (Aida), Seok Jong Baek (Radamès), Judit Kutasi (Amneris), Yannick Nézet-Séguin, Morris Robinson (le roi), Alexandros Stavrakakis (Ramfis) et Ambrogio Maestri (Amonasro). (c) Agence BigJaw