DVD Decca 0743811. Distr. Universal.
Pas facile de monter Faust aujourd'hui, surtout si l'on singe Lavelli sans avoir son esprit, sa finesse et sa culture. C'est ce que l'on ressent à regarder cette production du Met de 2011, créée en fait un an plus tôt à l'ENO, et filmée évidemment à cause de sa distribution. Transposition dans les années 30-40 du XXe siècle, avec l'idée que le vieux Faust est un savant atomiste déçu. Décor en conséquence, unique, de laboratoire inscrit entre deux escaliers à vis et coursives métalliques, où de pauvres fonds singent aussi pour la Maison de Marguerite le style de Bob Wilson - pour faire moderne ? Cela pourrait marcher, certes, puisque Faust résiste à tout. Encore faudrait-il que cela ait là une cohérence globale (ce n'est pas le cas) et surtout qu'une vraie direction d'acteurs impose une véritable histoire et anime des présences « jusqu'au-boutistes », ce dont Des McAnuff - plus à l'aise dans Shakespeare façon outre-Atlantique, et les musicals - n'a visiblement que faire, en laissant ses solistes à eux-mêmes. Or, ils sont assez exceptionnels et l'on regrette aussitôt ce qu'on aurait pu en tirer. Ici ils se contentent de paraître et de chanter. Les chœurs sont plus abandonnés encore, remplissant l'espace sans y exister, offrant une bien plate kermesse, un retour des soldats mou, une église sans aucun vertige où l'Enfer se contente de gigoter. On aura aussi le meurtre de l'enfant dans les fonds baptismaux, et une Nuit de Walpurgis post-Hiroshima idolâtrant la Bombe, heureusement écourtée car les gesticulations - on n'ose appeler cela chorégraphie - de Kelly Devine achèvent de descendre le spectacle au tréfonds de la nullité - à l'égal du finale.
Mais on écoute quand même, et on regarde : car le Faust de Kaufmann est irrésistible, bien sûr, tout autant physiquement - c'est aisé - que vocalement : le ton introspectif, le timbre ombreux, la classe vocale, l'art des nuances mais aussi le rayonnement de cette voix magistrale que le français ne gêne pas un instant, tout fait de lui le triomphateur évident de la soirée. Le Méphisto de Pape, un peu paresseux parfois dans son jeu d'acteur, n'a guère à lui envier cependant en matière de présence brute. Et la voix, clair timbrée pour le rôle, se plie avec ses splendeurs et son impeccable usage de la langue au jeu d'un méchant supérieur, hautain, mais qui se surprend trop à sourire pour qu'on y puisse voir vraiment l'incarnation d'un diable aussi sarcastique que maléfique.
Poplavskaya, actrice moyenne et sans foyer mais pourtant dotée de ce qui convient parfaitement à Marguerite en matière de timbre, de chair, de clarté, est nettement moins convaincante : aigu légèrement voilé et qui se tend quelque peu pour ses « Anges purs », et surtout tenue de ligne jamais vraiment absolue. Et contrairement au Valentin de Russell Braun, excellent, et à ses deux autres partenaires masculins, majeurs sur ce plan, sa prononciation rend son chant très indistinct. On lui a pourtant rendu l'air « Il ne revient pas », dont elle ne fait rien. En fait, c'est au Jardin qu'elle donne le meilleur de son rôle.
Nezet-Seguin dirige stylé, élégant, et français. L'orchestre, aérien, diaphane, le suit avec aisance sur ce chemin de clarté, mais pas vraiment les chœurs, plus massifs et inexpressifs.
Au bilan, on ira évidemment à cette version pour son tandem masculin. Mais elle restera une belle occasion manquée, qui montre les limites du système. La production de McVicar au Covent Garden (EMI), bien plus personnelle, affiche, avec un cast de même niveau et autrement investi, un résultat d'une tout autre envergure.
P.F.