Coïncidant avec la tenue des Jeux olympiques qui voient converger le monde vers la France, cette Vie parisienne mise en scène par Jean-Romain Vesperini constitue une brillante réussite qui repose sur la conjugaison heureuse des forces artistiques françaises et québécoises entreprise depuis quelques années par le directeur Jean-François Lapointe. Après un Faust qui nous avait laissé une impression plutôt partagée en 2022, Vesperini propose cette fois un spectacle des plus réjouissants qui illustre à merveille l’esprit complètement déjanté du chef-d’œuvre d’Offenbach. Si la transposition dans le Paris des années 1980 donne lieu à un amusant défilé de costumes bigarrés dessinés par Alain Blanchot, c’est d’abord la vivacité du jeu de tous les solistes et du chœur qui est remarquable dans cette production. Avec un sens du rythme jamais pris en défaut, le metteur en scène réussit en effet à faire bouger chaque protagoniste avec naturel et à faire en sorte que les choristes participent réellement à la folle effervescence qui s’empare de « la nouvelle Babylone ». Celle-ci est symbolisée par un escalier à deux volées auquel viennent s’ajouter quelques éléments de décor selon les tableaux et qui pivote sur lui-même lorsque la fête chez Mme de Quimper-Karadec atteint son paroxysme éthylique. Cette atmosphère virevoltante repose aussi en partie sur les magnifiques éclairages de Christophe Chaupin, qui ajoutent par moments une dimension délicieusement hypnotique à la comédie.
Entièrement francophone, la distribution réunit une formidable équipe de chanteurs qui prennent un plaisir manifeste à se retrouver tous ensemble sur la scène du Grand Théâtre. Pour ses débuts à l’Opéra de Québec, Jean-Luc Ballestra suscite le plus vif enthousiasme en impayable baron de Gondremarck au chant racé, au superbe timbre de baryton et à la diction exemplaire. Geoffroy Salvas se situe sur les mêmes cimes dans son interprétation particulièrement soignée de Bobinet. Très en voix, la Métella de Julie Boulianne et la baronne de Gondremarck de Marie-Ève Munger se distinguent par l’élégance de leur phrasé et leur abattage scénique. Pour étoffer le rôle de la baronne, on a d’ailleurs eu la bonne idée de lui faire chanter son rondeau (habituellement coupé) avant le dernier tableau. Dans le rôle capital de Gabrielle, dont la dimension encanaillée est peut-être un peu trop appuyée par le metteur en scène, Mélanie Boisvert fait entendre une jolie voix mais au volume relativement modeste. Plus que l’air hilarant de la veuve du colonel, c’est la tyrolienne à la fin du deuxième acte qui sied le mieux à son instrument et qui la montre sous son jour le plus cocasse. Primesautier à souhait, Dominique Côté campe un Raoul de Gardefeu survitaminé qui éprouve toutefois quelques difficultés dans les aigus. Excellent ténor de caractère, Rodolphe Briand déploie beaucoup d’énergie en Brésilien, Frick et Prosper, mais ces rôles lui conviennent à notre avis moins que celui de Gardefeu, qu’on peut voir dans la production de Christian Lacroix (DVD Naxos). Un peu à la traîne dans l’air du Brésilien, il force en outre le trait en bottier libidineux. Il faut enfin attirer l’attention sur la Pauline d’une belle sensualité de Sophie Naubert, de même que sur les inénarrables Urbain et Alfred de Christophe Gay. À la tête d’un chœur et d’un orchestre dans une forme resplendissante, Thomas Le Duc-Moreau doit gérer un certain nombre de décalages dans la première moitié de la soirée, mais réussit néanmoins à galvaniser ses troupes jusqu’à un finale (« Feu partout ! ») absolument électrisant.
L.B
(c) Jessica Latouche