Leonardo García Alarcón poursuit son cycle aixo-monteverdien avec cette année un Ritorno d’Ulisse in patria qui s’affirme comme la réussite la plus complète de cette édition. Le chef d’orchestre argentin fait rayonner son ensemble, le son est lumineux et chaleureux – ce qui est bon pour Ithaque – et le continuo sait jouer de combinaisons instrumentales renouvelées pour varier les couleurs alors même que la fosse du Jeu de Paume n’autorise pas un large effectif. Outre la couleur, la Capella Mediterranea a le sens de la pulsation et de l’agogique : l’action est rythmée, le récit avance sans appesantissement.

La mise en scène de Pierre Audi sert le même propos, et de cette adéquation résulte la cohérence du spectacle. Deux grands panneaux d’un gris métallisé et sidéral découpent d’abord l’espace en forme de triangle équilatéral pointant vers le fond de la scène. Dans la pénombre, un habile jeu de lumières fait surgir une pyramide d’ombre, les parois couleurs d’obscurité semblent des outrenoirs de Soulages. Le directeur du festival imprime immédiatement une esthétique géométrique et photosensible qui délimite nettement le monde terrestre et le monde céleste, favorisant la lisibilité du propos. Au royaume des dieux, ces panneaux ont la froideur de la réverbération d’un néon blanc, et les personnages des costumes bleu ciel, et chez les mortels, les lumières se font plus chaudes ou inquiétantes (combat contre les prétendants). La direction des acteurs chanteurs, en accord avec ce dispositif scénographique, relève de deux catégories : la géométrie et le tableau composé. En effet, les déplacements répondent à une logique géométrique, souvent symétrique chez les dieux, plus complexe chez les hommes. Ces mouvements servent à reconfigurer la disposition scénique et à produire un tableau pour chaque stase musicale. Le résultat serait terriblement froid et distancié s’il ne permettait pas aux artistes d’occuper cet espace et de l’habiter avec sensibilité. Et de sensibilité, personne n’en manque.

La distribution réunie se révèle simplement idéale. Triomphateur l’an dernier dans Picture a day like this sur cette même scène, John Brancy incarne un Ulysse combattif et nerveux avant de céder la place à un mari attentif et délicat. La voix d’une parfaite homogénéité se fait ainsi impérieuse ou caressante selon les ressacs de la récitation monteverdienne. Deepa Johnny prête son timbre chaleureux à Pénélope, touchante dans ses attentes comme dans la résolution. Anthony León (Telemaco) marque tant par la beauté de la voix que la justesse du fils revenu accueillir son père. Mariana Flores (Amore, Minerva) compose deux divinités aux autorités bien distinctes : souplesse et charme pour la première, majesté protectrice pour la seconde. La basse Alex Rosen est simplement épatant dans ses trois rôles, voix bien timbrée aux registres impeccablement soudés, il passe du dieu au prétendant en troquant la superbe de Neptune contre l’arrogance érotique. Paul-Antoine Bénos-Djian fait un superbe Anfinomo, voix généreuse pour chant stylé. Petr Nekoranec complète le trio des prétendants avec son ténor souple et lumineux. Personnage comique, Iro est admirablement servi par Marcel Beekman, chant claironnant et veulerie savoureuse. Mark Milhofer touche singulièrement dans le rôle du berger Eumete, véritablement bouleversant dans sa reconnaissance d’Ulysse, et il étonne par sa capacité à moduler l’émission et l’énonciation pour incarner Jupiter, proposant un visage immédiatement différent, on louera aussi l’acteur toujours juste. Enfin, le couple Melanto/Eurimaco est bien apparié : on goûte le mezzo fruité de Giuseppina Bridelli et la jolie voix de ténor de Joel Williams.

Quoiqu’annoncé comme une nouvelle production exclusive du Festival, on souhaite à ce spectacle de prendre la route en réunissant les mêmes artistes, tous le méritent.

 

J.C


(c) Ruth Walz