Pierre Audi l’avait annoncé, son mandat signerait le retour des grandes voix au Festival d’Aix-en-Provence, celles-là même qui n’intéressaient Bernard Foccroulle que si elles s’intégraient dans un projet artistique spécifique. Pour accomplir cette tâche, le directeur a fait appel à Julien Benhamou, qui avait attiré à Bordeaux – époque Marc Minkowski – de nombreuses stars en récitals. Depuis quelques années, outre des opéras en version de concert aux affiches alléchantes, le Festival propose à chaque édition une collection de récitals. Pour la première fois, l’événement se tient au Grand Théâtre de Provence dont les 1 370 places peuvent accueillir un public bien plus nombreux que la salle du conservatoire ou la cour de l’Hôtel Maynier d’Oppède. Les dimensions sont à la mesure de l’artiste qui s’y produit : Elīna Garanča, qui avait marqué les esprits en 2005 avec sa Dorabella, revient pour un récital de lieder et de mélodies lettonnes et russes.

On découvre ainsi un répertoire cher au cœur de l’artiste, celui des mélodies de Jāzeps Mediņš, Alfrēds Kalniņš, Jānis Mediņš et Jāzeps Vītols, tous les quatre nés à la fin du XIXe siècle. Ils cultivent un post-romantisme discret et empreint de lyrisme, pour eux la mélodie n’est pas le laboratoire de l’invention musicale. Du tranquille Aizver actinas un smaidi (Vītols) au tempétueux Ak, jus atminas (Mediņš), la musique est raffinée, doublant une poésie amoureuse assez convenue, plus intéressante quand elle se fait mélancolique, notamment dans List klusi (« Il pleut doucement » de Kalniņš) où la grisaille extérieure invite à l’introspection.

La mezzo-soprano y fait résonner sa langue maternelle nous découvrant des sonorités inconnues et des rythmes doux. Tout en murmures, chuchotements ou pianissimos filés, la première partie, ouverte par des lieder de Brahms, est un livre d’art du legato. La voix d’Elīna Garanča est un instrument sur lequel rien ne semble avoir prise, dont le timbre couleur d’aurore boréale donne du relief à chaque mot. Intériorité et sehnsucht romantique dominent, quitte à rendre l’émotion parfois inatteignable dans la salle du Grand Théâtre de Provence, ainsi ce n’est qu’au cinquième lied Die Mainacht que le sentiment perce et touche. Au piano, Malcolm Martineau semble en retrait, laissant toute la place à celle qu’il accompagne, on apprécie pourtant la qualité des couleurs qu’il compose, notamment la délicate bruine de List klusi, puis les sonorités pleines qu’exige la suite du récital.

La seconde partie est plus extravertie, Richard Strauss convoque des ressources théâtrales tout comme Rachmaninov. Ainsi l’espagnolade de Autre guitare du compositeur russe donne à voir la femme de théâtre aux côtés de la récitaliste. Les épanchements et les élans du cœur trouvent en Elīna Garanča une interprète dont les montées en puissance ne se déparent pas d’une contenance qui semble toutefois obéir aux contraintes de l’étiquette aristocratique plutôt qu’aux confidences du répertoire chambriste. Deux de ses trois bis la verront lâcher prise : un éblouissant Nié poy, krasavitza de Rachmaninov, véritablement bouleversant pour le registre théâtral, et la berceuse des Siete canciones populares espagnolas de Manuel de Falla, absolu frémissement hypnotique pour la poésie intérieure. Ils encadraient la Habanera d’une Carmen plus infante d’Espagne que cigarière.

 

J.C


(c) Vincent Beaume