Plus de cent ans nous séparent des dernières représentations de La Vestale à l’Opéra de Paris, et plus encore si l’on omet ces représentations scaligères délocalisées à Paris au bénéfice des sinistrés du tremblement de terre de Messine en décembre 1908. À Paris, Gabriel Astruc est à la manœuvre pour faire venir les milanais pour une unique soirée, solistes, orchestre, chœurs, décors (!!)… qui se produisent à Garnier fin janvier 1909. On espérait pouvoir à nouveau porter en triomphe le chef-d’œuvre de Spontini, la victoire est pourtant loin d’être acquise.
La metteuse en scène Lydia Steier, dont on apprécia le travail pour La Flûte enchantée à Salzbourg et qui nous fit désespérer avec Salomé à Bastille, a décidé de lire ici une condamnation du fanatisme. Projeté dans un futur dystopique – au troisième acte les costumes des vestales empruntent à l’adaptation télévisuelle de La Servante écarlate – où la France serait plongée dans une dictature théocratique, le savoir a fui les bancs de la Sorbonne où l’on procède désormais à des autodafés qui entretiennent la flamme de Vesta. Si, en effet, la société romaine antique était extrêmement violente, son système politique ne relevait absolument pas de la théocratie… difficile d’ailleurs d’envisager quel genre de morale pouvait émaner d’une religion dont les dieux sont aussi indisciplinés ! Plus proche de Spontini, Napoléon entretint des relations complexes avec le culte catholique et particulièrement ses représentants, il fut aussi le garant des libertés religieuses quoiqu’en encadrant strictement les cultes protestants et juifs. Bref, rien dans l’œuvre ne justifie cette distorsion, mais admettons. Licinius est donc un général victorieux mais alcoolique et sans-abri, et Julia subit les sévices physiques d’une Grande Vestale aux airs de mère sadique. On ne comprend ni les motivations des personnages, ni les liens qui les unissent : la Grande Vestale est-elle l’amante secrète du Grand Pontife ? Pourquoi Cinna trahit-il ainsi Licinius, à la faveur de quel retournement de fortune ? Dès lors, il n’y a plus de mise en scène, mais une accumulation de dispositifs : défilé de suppliciés, processions aux allures de syncrétisme totalitaire avec fanions à l’effigie de la Vierge (évoquant le franquisme et les abominables ecclésiastiques qui bénissaient les armes de Franco), chemises noires mussoliniennes, vidéos évoquant la Corée du Nord ou l’Union soviétique… que de beau monde ! Et malgré cette charge signifiante, malgré l’actualité politique qui nous fait redouter l’avènement d’un pouvoir illibéral en France, tout cela ne fait rien vibrer en nous et n’interroge pas – contrairement au but que s’assigne Lydia Steier dans le programme. Une fois par acte, elle signe toutefois un beau tableau, des moments de stase qui laissent la place à l’émotion suscitée par les interprètes.
Musicalement, la belle découverte de la voix d’Élodie Hache qui remplace Elza van den Heever souffrante, ne suffit pas à rééquilibrer de grosses déceptions. On doit donc à Élodie Hache de sauver la soirée, mais en réalité, elle fait encore mieux : la voix, parfaitement homogène dans tout l’ambitus du rôle, agile, sonore, en somme parfaitement maîtrisée, est mise au service d’une présence dramatique émouvante quand la mise en scène lui permet de déployer la dignité et la grandeur des sentiments qui animent Julia (« Toi que je laisse sur la terre » au III est un sommet). Face à elle, le Licinius de Michael Spyres est superlatif, la voix est vaillante au plus noble sens du terme : elle a l’éclat du bronze poli, une projection exemplaire et soutient les longues phrases spontiniennes d’un phrasé impérial. Jean Teitgen campe un Grand Pontife à l’autorité naturelle, jouant la solennité comme la noirceur. Ève-Maud Hubeaux déçoit en Grande Vestale, trop uniforme et au jeu exagéré, il en va de même pour le Cinna en force de Julien Behr.
Bertrand de Billy dirige sans réussir à emporter la conviction de l’orchestre. Le jeu manque de couleur, l’énergie brillante qui sied à la pompe romaine est absente, ainsi sans être poussif, l’orchestre se contente d’accompagner et non de porter le drame. Enfin, on note de nombreux décalages dans les chœurs qui semblent bien peu motivés pour rendre justice à une partition qui pourtant leur réserve de belles pages.
J.C
A lire : notre édition de La Vestale/L'Avant-Scène Opéra n° 340
© Guergana Damianova/OnP