Une saison après l’Armide gluckiste, l’Opéra-Comique présente la tragédie lyrique de Lully, la première composée sur ce même livret de Quinault que Gluck réemploya près d’un siècle plus tard. Pour faire face à la crise, l’Opéra-Comique a inventé un système de production idoine : les livrets étant identiques, l’Armide de Lully est donnée dans le même décor que celle de Gluck, et Lilo Baur ajuste sa mise en scène pour la musique de Lully. Certes, de la contrainte peuvent naître (ou pas) l’invention et la fantaisie artistique, et si le procédé devait se pérenniser, il faudrait néanmoins pouvoir compter sur un répertoire d’éléments de décor combinables qui permette de ne pas être systématiquement condamné à une sobriété par défaut. Le procédé aura au moins eu le mérite de rallonger la saison donnée salle Favart et de donner à entendre un ouvrage rare d’un compositeur majeur.

Nous n’avions pas assisté à l’Armide de Gluck, mais à la lecture du compte rendu de Pierre Flinois et en consultant quelques photos, on comprend que certains éléments de décor ont disparu, que les lumières ont été modifiées, cultivant ici un dégradé de noirs à la Soulage (tout comme les costumes), là où il y avait une certaine chaleur. La direction d’acteurs semble ne pas mieux réussir que la dernière fois : attitudes outrées d’Armide pour « Enfin il est en ma puissance », Renaud livré à lui-même ou perché sur l’arbre central (seul élément restant de la précédente production), chœur toujours compact qui comble l’espace et se livre parfois à quelques pas de danse peu expressifs… Lilo Baur ne semble pas plus inspirée chez Lully que chez Gluck. La sobriété visuelle paraît plus subie que prise en main.

En fosse, Christophe Rousset tient son orchestre avec un allant qui favorise le théâtre et évite l’alanguissement – quitte à refuser la sensualité à la magicienne Armide. Il négocie bien l’équilibre de la polyphonie et joue de la palette de couleurs variée des Talens Lyriques, à laquelle le continuo ample contribue largement. On regrette toutefois que cette maîtrise ne sache s’assouplir pour libérer l’émotion.

La distribution est dominée par le Renaud puissant de Cyrille Dubois, dont l’évolution vers une vocalité plus vaillante est désormais bien avancée. On regrette que le rôle soit d’ailleurs si bref car Dubois s’impose avec une stature à la superbe Grand Siècle, tragique et sensible. Ambroisine Bré est une Armide au timbre charnu, engagée dans le drame mais assez peu souveraine, elle est entourée des solides Florie Valiquette (Sidonie/la Gloire) et Apolline Raï-Westphal (Mélisse/la Sagesse). Edwin Crossley-Mercer (Hidraot) fait preuve d’une belle autorité, plus patriarche que chef de guerre, et Anas Séguin campe une Haine féroce et sonore. Enguerrand de Hys soigne les lignes d’Artémidore et du Chevalier Danois et on découvre en Lysandre Châlon une très belle voix doublée d’un émouvant chanteur. Mentionnons aussi l’Amant fortuné très châtié, au phrasé souple et au timbre lumineux d’Abel Zamora, artiste de l’Académie de l’Opéra-Comique.

 Cette soirée de bon théâtre n’aura malheureusement touché à la grandeur tragique qu’une seule fois, lors du bel hommage rendu à Jodie Devos, à qui la représentation fut dédiée.


J.C


Lysandre Châlon (Ubalde, Aronte), Enguerrand de Hys (Artémidore, Le Chevalier danois). © Stefan Brion