David Oštrek (Mustafà), Polly Ott (Elvira), Laura Murphy (Zulma), Adam Kutny (Haly), Miloš Bulajić (Lindoro), Hannah Ludwig (Isabella), Manuel Walser (Taddeo). Neuer Männerchor Berlin, Eroica Berlin, dir. Jakob Lehmann (Theater im Delphi, Berlin, octobre 2022).

Pan Classics 10455. Présentation bilingue (anglais - allemand). Livret en italien. Distr. Outhere.

Ne cherchez pas, il n'y aucun nom connu dans la distribution de ce nouvel enregistrement de L'Italienne à Alger mais un ensemble homogène de jeunes chanteurs, rompus au style rossinien et engagés dans une approche renouvelée de la partition, où l'ornement, la variation, les appogiatures et les cadences sont la règle, jusque dans le récitatif. La vedette à vrai dire de cette version est pour une fois l'orchestre, un ensemble mixte d'instruments d'époque et modernes, en petite formation (32 instrumentistes, incluant le pianoforte), comprenant trois contrebasses pour douze violons, deux altos et deux violoncelles, ce qui renforce la tonalité « grave » de l'ensemble. S'y ajoute un riche ensemble de percussions (alla turca) et les vents – un par pupitre à l'exception des clarinettes qui vont par deux. Le récitatif lui-même ne peut plus être qualifié de sec puisqu'il est accompagné non seulement par le pianoforte, mais aussi par le violoncelle et une des contrebasses, le tout donnant une sensation d'improvisation qui ajoute beaucoup de sel à des passages habituellement coupés, puisqu'ici la partition est donnée intégralement d'après l'édition critique. Si l'œuvre de Rossini avait déjà connu quelques expériences sur instruments d'époque (la Cappella Coloniensis et Gabriele Ferro dans les années 1970-1980, Marc Minkowski ou Jean-Christophe Spinosi plus récemment), jamais aucune n'était allée aussi loin en termes de recherche musicologique pour un résultat qui s'avère singulièrement séduisant. Au centre de cette étonnante approche, on trouve le chef Jakob Lehmann, que sa démarche « historiquement informée » a amené à une interprétation radicalement neuve de la musique de Rossini, toute de liberté, où l'orchestre lui-même n'accompagne plus mais porte réellement l'action avec une invention dans les phrasés, un sens du rythme, des accents, des traits et une impressionnante virtuosité dans des accelerandi implacables et d'une rigoureuse précision. On savourera le gouleyant des bois, les couleurs variées des cuivres et en prime, notamment dans l'ouverture, un jeu sur des variations et des appogiatures qui en renouvelle totalement l'esprit. On s'étonnera peut-être que cette nouveauté nous vienne d'Allemagne où est basé l'orchestre Eroica Berlin dont Jakob Lehmann est le chef fondateur.

Du côté des chanteurs, se fait remarquer une brochette de clefs d'ut de premier plan, à commencer par le Mustafà d'une belle rondeur, tout en souplesse de David Oštrek, suivi du baryton plus sombre d'Adam Kutny en Haly et du non moins solide Taddeo de Manuel Walser. Malgré toute sa bravoure, avec un timbre un peu voilé et une émission en arrière, le ténor Miloš Bulajić achoppe quelque peu sur la tessiture très aiguë de l'air d'entrée de Lindoro mais il fait oublier ses limites dans le reste du rôle. En revanche, l'Elvira de Polly Ott et la Zulma de Laura Murphy sont parfaites. Dans le rôle-titre, Hannah Ludwig doit abuser de la voix de poitrine pour assurer l'extrême grave de cette tessiture de mezzo-contralto, ce qui n'est pas toujours du meilleur goût, mais elle communique beaucoup de caractère à son personnage de dominatrice avec une belle voix centrale, beaucoup de facilité dans l'aigu et des cadences très soignées. Le petit Neuer Männerchor (onze voix) de Berlin est remarquablement en place et d'une belle homogénéité.

Avec son orchestration entièrement repensée, un rythme plein de surprise et d'étonnants rebonds, cet enregistrement réalisé sur le vif dans un petit théâtre berlinois, n'est certes pas parfait mais il communique une sensation jubilatoire qui ne se dément jamais. Il laisse en permanence l'impression de redécouvrir ce petit chef-d'œuvre de « folie organisée et complète » (dixit Stendhal) d'un compositeur de 21 ans, entièrement rafraîchi par des couleurs neuves et une verve communicative. Le Rossini nouveau est arrivé et c’est un excellent cru.


A.C