En sortant des Maîtres Chanteurs à Madrid, on s’était promis de venir voir Così à Paris, pour réentendre Pablo Heras-Casado et constater si la magie opérerait aussi bien avec le (redoutable) orchestre de l’Opéra que le chef dirigeait pour la première fois.
La prestation fut à la hauteur des attentes : le chef espagnol a la haute main sur l’orchestre, qu’il tient avec rigueur et autorité, lui offrant de ce fait toute la liberté pour faire résonner les couleurs chatoyantes des bois, les phrasés dynamiques et veloutés des cordes, garantir ainsi le théâtre et la poésie, l'élan et l’introspection. Attentif aux voix, il propose une véritable direction de chant et ordonne le plateau vocal, en assurant l’harmonie et les subtils équilibres : c’est le travail d’un vrai chef de théâtre. Si l’on se fie au résultat entendu, on peut déduire qu’une bonne entente (au moins) professionnelle s’est installée entre l’orchestre et le chef, renforçant – à nos yeux – la crédibilité d’une nomination souhaitable de celui-ci comme directeur musical de la maison.
Pour conclure la saison lyrique au Palais Garnier, l’Opéra a repris la mise en scène chorégraphiée d’Anne Teresa de Keersmaeker, créée in loco en 2017. Sur un plateau complètement à nu et néanmoins tout de blanc vêtu, la chorégraphe belge dispose les interprètes – chanteurs et danseurs – en lignes, souvent courbes, puis défait un premier tracé pour en proposer un autre, ménageant des chocs, glissements et frottements dans l’intervalle. Les chanteurs sont parfois invités à se joindre à la danse, ce qu’ils exécutent avec application dans un joli contraste avec les danseurs ; les lumières tiennent lieu de délicate scénographie, les changements de couleurs, de focalisation de la projection et les variations d’intensité modulant la profondeur de champ, et donc la perception de l’espace ; des échos entre les costumes et les gestes esquissent des symétries entre interprètes chorégraphiques et lyriques. Si le langage chorégraphique d’Anne Teresa de Keersmaeker est souvent abstrait, elle essaie ici de s’en écarter par de maladroits figuralismes dont elle ne sait finalement que faire. Sa mise en scène de Così pourrait être celle des Noces ou de Don Giovanni, et qui sait, peut-être aussi celle de La Flûte enchantée… Ce travail soigné finit par ennuyer.
Les voix rendent justice au style mozartien malgré des tempéraments bien différents. En effet, on se laisse aisément séduire par le Guglielmo madré de Gordon Bintner. Déjà entendu et apprécié dans A Quiet Place en ces mêmes lieux, le baryton canadien se plie cette fois à l’exigeante ligne mozartienne qu’il colore de son timbre très flatteur, lui insuffle la vie et le relief indispensables, et irradie par sa présence scénique – à retrouver l’année prochaine en Golaud. Face à lui, le Ferrando distingué de Josh Lovell, timbre clair et émission franche au service d’une ligne précise, convainc d’autant mieux quand il se laisse aller aux déchirements du personnage. Vannina Santoni est une Fiordiligi dont les revirements du cœur sont crédibles. Le bas-médium n'a pas l’ampleur requise pour projeter les sons les plus graves, mais la soprano assume le rôle sans tricher. Elle s’illustre notamment en réalisant avec agilité et sensibilité les redoutables vocalises qui parsèment son rôle. Angela Brower (Dorabella) partage le même souci d’une ligne parfaitement tenue, et révèle – notamment au deuxième acte, quand Dorabella cède – un tempérament félin, qui sied si bien au personnage. La voix est homogène dans toute son étendue et le timbre charnu. La Despina d’Hera Hyesang Park ne manque pas de piquant, le chant mutin à souhait révèle un vrai abattage théâtral, qui compense une projection parfois un peu effacée. Enfin, Paulo Szot est un solide Alfonso, bien chantant et à l’aise dans le rôle, mais il manque toutefois d’assise dans le grave et de noirceur de timbre.
Cette reprise couronne le travail du chef, sans lequel la soirée manquerait singulièrement d’allant, et la réponse d’un plateau vocal bien investi. Comme rarement chez Mozart ces derniers temps, ce soir la fantaisie, la tendresse et la mélancolie ont été à portée de main, mais pas vraiment atteintes.
J.C
© Benoite Fanton/Opéra national de Paris