L’Opéra de Lille clôt sa saison avec une nouvelle production – en français – de La Chauve-Souris, signée Laurent Pelly. Le choix du français qui s’impose pour ce répertoire est encore justifié par la genèse du livret inspiré du Réveillon des bien connus Meilhac et Halévy, librettistes d’Offenbach et de Carmen.

Loin de Vienne, l’action se déroule à Pincornet-les-bœufs, bourgade de province où le prince Orlofsky a fait escale pour la saison de la chasse. La bourgeoisie locale profite de ses fêtes pour se désennuyer. Laurent Pelly oppose ainsi la maison terre de Sienne des Gaillardins, une boîte asymétrique en équilibre sur un plan incliné au I, aux couleurs pétaradantes de la fête du II – costumes aux teintes vives et contrastantes, et fond du décor bariolé. La prison (troisième acte) est suggérée par des panneaux rayés verticalement de noir et de gris. Est-ce le retour à Pincornet-les-bœufs, obscure province, ou un choix crépusculaire ? L’ensemble est terne et la débauche de couleurs n'y fait rien, cette Chauve-Souris n’est pas vraiment pimpante. Pourtant, le metteur en scène imprime un rythme certain à la comédie, les chœurs comme les solistes sont entraînés dans cette chorégraphie faite d’habiles soulignements, de déplacements réglés au millimètre, bref d’une occupation de l’espace entre grâce et espièglerie, caricature et tendresse qui fait le style Pelly à son meilleur. On y goûte sans être embarqué dans le tourbillon pétillant de la pièce, fait de mordant – les dialogues évitent tout grincement, comme s’il ne fallait se fâcher avec personne – et de chic. L’absence de ce dernier, manifeste, entre autres, par le choix de costumes délibérément mal-seyants, semble accréditer la lecture de la pièce comme la représentation d’un monde piteux, comme si l’amertume et la désillusion affleuraient ça et là.

La direction de Johanna Malangré tire le meilleur de l’orchestre de Picardie, avec énergie et abattage, et aussi souplesse pour alanguir le tempo. Néanmoins, on désirerait parfois un surcroît de légèreté pour faire « mousser » la musique et mieux mettre en valeur les couleurs des solistes de l’orchestre.

C’est une solide distribution qui est mise au service de la musique de Strauss. Marie-Ève Munger est une Adèle truculente, gouailleuse et forte en voix – qu’elle a généreuse et bien homogène. Camille Schnoor campe une Caroline (Rosalinde) passionnée, à l’instrument bien maîtrisé quoique plus à la peine dans le bas-médium et Héloïse Mas fait un prince Orlofsky délicieusement ennuyé. La voix large et le timbre chaleureux donnent une belle ampleur à ses couplets, sans rien céder du caractère capricieux du personnage. Guillaume Andrieux est un solide Gaillardin, qui fait valoir un joli timbre de baryton dans son personnage de hâbleur. Christophe Gay (Duparquet) a le piquant pince-sans-rire du rôle et Franck Leguérinel l’abattage du directeur de la prison Tourillon. Enfin, Julien Dran offre sa voix séduisante et son chant enjôleur au personnage d’Alfred.

L’Opéra de Lille conclut sa saison avec un spectacle de bonne tenue, auquel il manque un rien d’impertinence pour gagner en profondeur.


J.C


© Simon Gosselin