Changement d’ambiance pour notre troisième soirée madrilène, après deux soirées au monumental Teatro Real, nous voici dans le cocon du Teatro de la Zarzuela, qui affiche cette saison une dizaine de productions, un enviable programme de récitals (Gerald Finley, Lisette Oropesa, Christian Gerhaher… pour ne citer qu’eux) et de concerts. On y découvre ainsi un classique du répertoire de la zarzuela – équivalent de l’opéra-comique français –, La verbena de la Paloma de Tomás Bretón, qui appartient au genero chico des zarzuelas en un acte, sous-genre plus proche de l’opérette par sa légèreté de ton et ses sujets contemporains de leur composition, alors que la zarzuela grande peut être historique. L’intrigue est simple : Julián, jeune homme au sang chaud fiancé à Susana, l’a surprise dans un fiacre en compagnie d’un autre homme, le vieil apothicaire Don Hilarión, que sa peu scrupuleuse tante aimerait voir épouser Susana ou sa sœur Casta. En réalité, Susana n’a que faire de ce vieux barbon, mais ne supporte plus les crises de jalousie de Julián. Morale de l’histoire : « Apprends à te contrôler Julián », écrite en 1894. On ne saurait dire mieux aujourd’hui !
La représentation était précédée d’un pastiche écrit pour l’occasion : nous sommes en 1929 au Teatro de l’Apolo de Madrid, où fut créée La verbena, et allons assister à la dernière représentation dans ce théâtre tout juste racheté par une banque pour y ouvrir une succursale. Adroitement mené, ce prologue permet de « contextualiser » l’œuvre dans une époque où les suffragettes se battent pour obtenir le droit de vote, où le théâtre musical doit faire face à la concurrence du cinéma… on évoque ainsi l’internationalisation des standards du spectacle, l’émergence d’un divertissement qui s’exporte et surtout s’importe. Cette crise est aussi l’occasion d’un hommage au genero chico et certains titres favoris dont des extraits ponctuent ce prologue, en même temps qu’au défunt théâtre.
L’ensemble du spectacle éblouit, les interprètes sont aussi bons chanteurs et danseurs qu’acteurs, le tout respire un esprit de troupe dans sa meilleure acception : les répliques fusent, le jeu de scène est souple, les numéros dansés s’enchaînent sans couture aux numéros chantés. La partition alterne habilement solos et tableaux d’ensemble avec chœurs et danses, avec une profusion variée, on a ainsi droit à un beau numéro de flamenco au début de la deuxième scène. Le décor et les costumes soignés de Nicolás Boni et Gabriela Salaverri reconstituent les rues du Madrid de la fin des années 1920. On aperçoit l’intérieur de l’échoppe de l’apothicaire, puis le décor nous révèle l’intérieur d’un café et les figurants s’interpellent d’une fenêtre d’immeuble à l’autre. La mise en scène de Nuria Castejón se révèle ainsi profondément vivante, en rien surannée ou poussiéreuse. Parmi les interprètes, saluons le Don Hilarión truculent d'Antonio Comas, la tante gouailleuse de Gurutze Beitia, le Julián fiévreux de Borja Quiza et la Susana au timbre chaleureux de Carmen Romeu. En fosse, José Miguel Pérez-Sierra, bien connu des rossiniens de Bad Wildbad et pour ses enregistrements, dirige avec éclat et abattage l’orchestre de la Communauté de Madrid brillant et énergique.
On sort de la représentation avec l’enthousiasme naïf du néo-converti, emporté par la ferveur du public hétérogène (majorité de têtes blanches, mais on note aussi un public plus jeune et familial) qui connaît son Bretón par cœur et n’hésite pas à fredonner en même temps que les airs les mieux connus.
J.C