Louise Alder (Theodora), Anna Stéphany (Irene), Tim Mead (Didymus), Stuart Jackson (Septimius), Adam Plachetka (Valens), Arcangelo, dir. Jonathan Cohen.
Alpha1025 (3 CD). 2022. 3h. Notice en français. Distr. Outhere.
Deux ans après la très opératique version d’Emelyanychev, en voici l’antithèse.
On n’attendait guère le charmant ensemble Arcangelo dans ce répertoire, même s’il avait signé chez Alpha, en 2020, une sensible lecture de la Brockes Passion du Saxon. Theodora (1749), cependant, n’est pas une passion, mais un drame de chair et de sang, où il est question de torture et de prostitution forcée – ce que Jonathan Cohen semble n’avoir pas mesuré. Sa direction élégante et détachée ne laisse jamais le drame coaguler : les jolis moments s’enchaînent sans que les personnages ne prennent vie, particulièrement durant le premier acte, traité comme un vaste prologue. Lumineux, équilibré, avec des bassons savoureux, des cors féroces, des cordes précises dans les passages rapides, comme le fugato de l’ouverture, l’orchestre se contente d’accompagner des morceaux qu’il devrait emporter, enflammer, dont il est censé être le moteur et non le lest : « Kind Heav’n », « New scenes of joy », par exemple, ou un duo final qui se voudrait éthéré mais apparaît surtout figé.
Dommage pour le chœur de vingt-sept membres, fort recommandable, dont l’engagement paraît plus d’une fois bridé (« Bless be the hand », « How strange »), bien qu’il trouve de poignants accents pour l’extraordinaire « He saw the lovely youth ». Dommage aussi pour les solistes masculins, excellents dans le genre « ecclésial » (voix peu vibrées, donc peu colorées). Le contre-ténor Tim Mead opte ainsi pour l’école anglaise en se cantonnant au falsetto, sans passer en registre de poitrine – mais un falsetto percutant, à l’aigu tranchant, au grave nourri, au phrasé royal (« The raptur’d soul »). Le chant très articulé du ténor Stuart Jackson donne parfois l’impression d’entendre un évangéliste et son premier air ressemble à un « sommeil » français : mais sa technique aguerrie et son engagement transcendent cette sécheresse, lorsque la direction est au diapason (vigoureux « Tho’ the honours ») ; tandis que le timbre mat de la basse Adam Plachetka intensifie la cruauté du personnage. Les dames sont moins convaincantes : Anna Stéphany s’épand avec émotion dans « Defend her, Heav’n », mais la trame vocale est lâche, parfois instable ; et la Théodora virginale de Louise Alder, si elle négocie habilement une tessiture ambiguë, reste inhibée, incolore.
Une onzième Theodora discographique trop pudique pour compter parmi les meilleures.
O.R