Juan Diego Florez (Almaviva), Paolo Bordogna (Bartolo), Vasilisa Berzhanskaya (Rosina), Etienne Dupuis (Figaro), Ildar Abdrazakov (Basilio). Orchestre et Chœur de l’Opéra de Vienne, dir. Michele Mariotti, mise en scène : Herbert Fritsch. Sur le vif, Vienne Staatsoper Octobre 2021.
C Major Entertainment CM765308 (2 DVD). Notice et argument traduction française. Distr. DistrArt Musique.
Le melodramma buffo de Rossini et la capitale autrichienne entretiennent un lien fusionnel depuis qu’en 1822, Rossini reçut à Vienne les louanges de Beethoven à l’endroit de son Barbier. Le Staatsoper s’était habitué depuis plusieurs décennies à la régie de Günther Rennert, toute de classicisme psychologique et visuel. La présente mise en scène, due à Herbert Fritsch, acteur comique converti au théâtre lyrique, renverse la table. Celui qui n’hésitait pas hier à jouer la carte du rire déboutonné dans son approche de la Salomé straussienne, nous sert une nouvelle rasade de son élixir guignolesque. Du domestique Fiorello et de son maître Bartolo à un Figaro roulant des yeux et battant des ailes comme un papillon en chaleur, via une Berta vibrionnante, tous reproduisent les mêmes grimaces expressives. Dès l’entrée nocturne du chœur initial précédant la sérénade d’Almaviva, la reptation de ces ombres noirâtres donne le la d’une option décorative caricaturale. Par bonheur, le Comte incarné par Juan Diego Florez éclipse non seulement tous ces personnages stéréotypés mais la plupart des ténors rossiniens rencontrés depuis le virtuosissime Rockwell Blake, avec un timbre infiniment plus solaire que celui de ce dernier. En 25 ans de connivence avec Almaviva, le ténor péruvien a en effet réussi à conquérir une plénitude vocale à l’égal de son ébouriffante maîtrise de la vocalisation fleurie et d’un aigu jubilatoire. De la sérénade susdite à l’aria finale, «Cessa di più resistere », si souvent omise, Florez alterne caresse d’un phrasé propre à enjôler sa Rosina comme son auditoire et brio de ses affrontements avec le tuteur Bartolo. Avouons notre peu d’enthousiasme pour les clowneries d’icelui, comme pour celles d’un Figaro ténorisant, dans un rôle de basse barytonale. Basile parlant plus qu’il ne chante, il reste à cerner les qualités et les faiblesses de la mezzo russe Vasilisa Berzhanskaya, Rosina dont le fiorito d’une rare vélocité compense quelques écarts de justesse ou aigus stentoriens. À la tête d’un orchestre peu flatté par la prise de son, le très rossinien Mariotti cisèle la partition non sans un certain mimétisme avec les facéties du plateau. Nos trois cœurs iront à l’évidence à Florez, qui seul transcende une production hasardeuse et en mériterait un quatrième.
J.C