Annalisa Stroppa (Léonor de Guzman), Javier Camarena (Fernand), Florian Sempey (Alphonse XI), Evgeny Stavinsky (Balthazar), Edoardo Milletti (Don Gaspar). Orchestra Donizetti Opera, Coro Donizetti Opera and Coro dell’Accademia Teatro alla Scala, dir. Riccardo Frizza. Mise en scène : Valentina Carrasco. Sur le vif, Festival de Bergame 2022.

Dynamic DYN37992 (2 DVD). Distr. Outhere.

 

Grand opéra de filiation post-rossinienne acclimaté à la langue française, La Favorite occupe une place singulière dans le répertoire. La présente captation de sa version originale réalisée à Bergame, ville natale de Donizetti, est d’autant plus attrayante, récompensée de surcroît par le célèbre prix Abbiati au titre de meilleur spectacle italien de l’année 2022. Le cadre historique du livret, ancré dans l’Espagne de 1340 en lutte contre les Maures, met en scène le roi Alphonse XI de Castille, époux de Marie de Portugal mais accordant à sa maîtresse Léonor, secrètement éprise du valeureux Fernand, les privilèges d’une souveraine. On n’étonnera personne en soulignant que l’inévitable transposition de l’action brouille à dessein les cartes de son action et du divertissement chorégraphique, obligatoire à Paris en 1840. Vous avez dit transposition ?  Valentina Carrasco, metteuse en scène argentine connue pour ses audaces au sein de la compagnie Fura dels Baus, se lance à corps perdu dans un plaidoyer féministe qui ne peut laisser indifférent. Son héroïne, désignée comme victime du machisme prédateur qu’incarnent à ses yeux, outre le Roi espagnol et ses favorites, la gent masculine dépravée, inspire les déclinaisons de cette thématique au fil des quatre actes ici très librement inscrits dans le XIXe siècle. Le spectacle repose sur une séduction décorative, flattée par ses éclairages contrastés, versus la misère existentielle de son rôle éponyme. Ainsi, des grilles qui enserrent l’espace scénique ou de l’étagement des  lits occupés en lieu et place des suivantes de Leonor par les ex-favorites du roi, avant qu’une troupe de dames tout aussi mûres ne vienne s’ébrouer en guise de ballet-pantomime au II. Reconnaissons que cette peinture à charge de la condition féminine témoigne d’une logique assumée quoique évidemment sujette à caution.


D’un orchestre fragile et des chœurs impliqués Riccardo Frizza obtient le meilleur, divers et dynamique à souhait. Le sous-titrage en français est en revanche le seul moyen de déchiffrer le sabir d’un plateau par ailleurs souvent décevant. La clarté ténorisante de Javier Camarena est l’alpha et l’omega d’une expression convenue, face aux élans sincères mais plombés par notre langue et les tensions vocales d’Annalisa Stroppa, en deçà des exigences de cet emploi de mezzo expansive. Le Roi est dévolu à un Florian Sempey dont le cantabile rend indulgent à la faiblesse du registre grave, face à l’autorité ecclésiastique qui se voudrait impérieuse du Balthazar campé par Evgeny Stavinsky. Au total, un pari risqué,  honorable et donc honoré à ce titre de trois cœurs tant l’ouvrage est en lui-même prenant.


 

J.C