En cette année du centenaire de la mort de Puccini, l’Opéra Grand Avignon choisit de programmer l’un des ouvrages les plus populaires du compositeur : Tosca, drame lyrique en trois actes d’après la pièce de Victorien Sardou. Et pour servir ce choix du cœur, l’ouvrage est confié à Jean-Claude Berutti qui, plus que d’imaginer une quelconque relecture du scénario si bien troussé par Giacosa et Illica, réalise une mise en scène efficace et parfaitement lisible.
Pour autant, la clarté du propos scénique n’est pas toujours au service de l’émotion ou de la beauté. Évacuons ainsi d’emblée les vues façon « Google maps » qui ouvrent chaque acte, ou pire encore, celle sur laquelle se referme le spectacle. Cette dernière image, où se réaffichent en toutes lettres et pour la énième fois les mentions des lieux de l’action, s’avère douloureusement triviale et vient faucher en plein vol celle, superbement dramatique, du saut dans le vide de l’héroïne. Car sans rien apporter au drame, ces plans de Rome, inélégants et traçant les déplacements des protagonistes comme le ferait un GPS, ne s’accordent pas à l’esthétique plastique de la production et ne participent pas davantage à une vision « contemporaine » dans un monde où les images se font toujours plus innovantes et concurrentielles. Il en va de même des décors projetés en fond de scène, façon diaporama de circuit touristique. Tantôt fixes, tantôt mouvants pour symboliser la perte de repères de Floria Tosca, ceux-ci jurent avec l’esthétique générale de la mise en scène, n’apportent rien à la compréhension du scénario et confinent le drame dans des espaces numériques factices sans le laisser parvenir jusqu’à la salle. Ces deux importantes réserves effectuées, la proposition scénique s’avère pourtant honorable, la direction d’acteurs précise, les costumes de belle facture, les lumières soigneusement réglées. On regrette alors que le metteur en scène n’ait pas assumé davantage sa proposition certes un brin « classique », mais résolument valable et susceptible de parler au plus grand public. Car sans l’artifice faussement contemporain des décors projetés, cette Tosca aurait sans nul doute dépassé le fait divers pour tutoyer le beau.
La réussite du spectacle repose tout particulièrement sur l’exécution musicale et scénique des interprètes, placés sous la direction de Federico Santi. Durant le premier acte, la lenteur des tempi surprend d’abord, mais l’on apprécie peu à peu l’assise du discours musical, rendant perceptible chaque aspect du drame. Ainsi, les premiers échanges de Cavaradossi et Tosca respirent bien plus que d’ordinaire, à chaque phrase, chaque geste. Dans les moindres interstices, le langage vocal et orchestral trouve son prolongement naturel dans le langage corporel des deux interprètes. C’est bien là l’aspect le plus délicat et le plus réussi de la production.
Dans le rôle-titre, Barbara Haveman révèle un timbre élégant, légèrement ambré, et une projection équilibrée sur toute la tessiture. Scéniquement, la soprano néerlandaise rompt quelque peu avec la tradition et souligne moins l’ardeur de Tosca que sa piété et sa tempérance. À cet égard, son « Vissi d’arte » convainc sans émouvoir. À ses côtés, Sébastien Guèze réalise une prise de rôle magistrale de Cavaradossi. Connu pour l’agilité et la sincérité de son jeu, le ténor ardéchois nourrit perpétuellement son personnage de gestes et regards d’une grande justesse. De ses nombreux Rodolfo et Hoffmann, il conserve l’aigu éclatant et la projection pleine. En Cavaradossi, la voix est plus vaillante encore et la longueur de souffle vraiment admirable, particulièrement dans les tempi étirés du premier acte. L’assise avec laquelle il aborde le célèbre « E lucevan le stelle » et la qualité du phrasé forcent l’admiration. En Scarpia, André Heyboer s’impose à partir du deuxième acte, plus réussi que le premier. La présence scénique et la couleur vocale servent parfaitement le rôle, la projection est ferme, l’engagement entier. Distinguons enfin la très belle performance d’Ugo Rabec en Cesare Angelotti. La voix de basse est profonde, noble et enveloppante. Dans les autres rôles, le Spoletta de Francesco Cipri s’avère très insuffisant, le sacristain de Jean-Marc Salzmann aussi solide qu’amusant, quand le berger s’acquitte honorablement de sa tâche. Le Chœur et la Maîtrise de l’Opéra Grand Avignon excellent à chacune de leurs interventions.
Ouverte par un élégant hommage à la soprano Françoise Garner, bien connue du public avignonnais et décédée le 6 mars dernier, la représentation s’achève sous les longues ovations du public.
J.P
© Mickaël et Cédric/Studio Delestrade