Marc Mauillon (Orfeo), Luciana Mancini (Euridice, la Musica), Sara Mingardo (Messaggiera), Marianne Beate Kielland (Speranza, Proserpina), Salvo Vitale (Caronte, Plutone), Furio Zanasi (Apollo), La Capella reial de Catalunya, Le Concert des Nations, dir. Jordi Savall.

Château de Versailles-Spectacles (2 CD). 2021.1h49. Notice en français. Distr. Outhere.

Du spectacle monté à l’Opéra-Comique en juin 2021, dans la foulée duquel a été effectué cet enregistrement, nous avions gardé un fort bon souvenir – seulement en partie ravivé par le présent coffret.

Au disque se dissipe un peu l’hypnose que créait la battue de Jordi Savall, la seule à rendre sa nature mystique à un ouvrage que les lectures actuelles tirent davantage vers l’opéra. Est-ce sa façon de s’appuyer sur les valeurs longues de la mélopée montéverdienne, son tactus à la fois souple et constant, les couleurs automnales de son orchestre qui façonnent cette douce mélancolie, comme revenue de l’autre monde, perceptible dès le Prologue ? Sans opter pour l’ascèse du jeu à une voix par partie, façon Alessandrini, le chef catalan emploie ici un effectif réduit, assez pauvre en cordes (deux violons quand Monteverdi en utilisait dix ; une viola da braccio quand Gonzalez Toro, récemment, en mobilisait cinq), mais qui ne sonne pas déséquilibré pour autant.

Il faut dire que Savall a su s’entourer : violon magique de Manfredo Kraemer, aux échos impalpables, harpe liquide d’Andrew Lawrence-King, etc… Le chœur typé, ombreux, de la Capella reial de Catalunya, bien que relégué à l’arrière-plan, nous vaut également de grands moments d’émotion (remarquable « E la virtute un raggio »). Pourtant, au fil des actes II, III et V surtout, dont pathos et théâtralité ont été volontairement décantés, le hiératisme guette – jusqu’à l’ennui, parfois.

Plus surveillé qu’à la scène, l’Orphée de Marc Mauillon nous dispense des vilaines notes dans le nez qui lui échappent lorsqu’il veut appuyer l’expression. Bien ancrée dans son grave naturel, l’émission s’assainit mais devient plus monochrome, particulièrement dans les longs soliloques. Si les passages « dialectiques » mettent en valeur ses talents de diseur (il doute supérieurement, à la sortie des enfers), les diminutions de « Possente spirto » restent trop sages, peu articulées. Voici un Orphée bien humain – qui redevient presque un petit garçon lors de son duo avec le paternel Apollon de Furio Zanasi !

Le timbre étrange, un peu brouillé mais très italien, de Lucia Mancini convient mieux à la Musique qu’à Eurydice, tandis que le majestueux Salvo Vitale nous convainc davantage en Pluton qu’en Charon. Les deux merveilleux rôles, pourtant très différents, de l’Espérance et de Proserpine, siéent, eux, également au chant suave et sophistiqué de Marianne Beate Kielland, et les deux premiers Bergers (Victor Sordo, Gabriel Diaz) s’avèrent des plus racés. À bout de voix, hélas, Sara Mingardo aborde avec mille précautions le récit de la Messagère, privé d’impact par ce « scolorirsi » qu’elle illustre tout en le relatant.

Une version touchante et personnelle, qui n’égale cependant pas les références signées Harnoncourt, Jürgens et Garrido.

 

O.R