Nicola Alaimo (Murena), Albina Shagimuratova (Argelia), Sergey Romanovsky (Settimio), Lluís Calvet i Pey (Publio), Kezia Bienek (Leontina), André Henriquez (Lucio, Fulvio) ; Opera Rara Chorus, Britten Sinfonia, dir. Carlo Rizzi. Mai 2023.

Opera Rara (2CD) ORC 64. 2h16. Notice en anglais. Synopsis en anglais, français, allemand et italien. Livret en italien et en anglais. Distr. Warner Classics.

 

Créé à Naples en 1828, L’esule di Roma appartient à la veine des opéras à sujet antique dont la vogue avait été lancée par le succès de La Vestale de Spontini, régulièrement reprise au San Carlo de la première en 1811 à 1829. Rome y était le reflet de l’Empire napoléonien mais les Bourbons n’avaient pas manqué d’en récupérer le prestige alors que les fouilles menées à Herculanum venaient de révéler les aspects les plus « vivants » de la culture romaine. Un élément dramatique distingue ce « melodramma eroico » de la production courante des années 1820. C'est l’apparition d’un personnage en proie au doute et au remord, le sénateur Murena, rôle créé par Luigi Lablache, célèbre « basso cantante » des années 1820-1840. Pour des raisons politiques, ce dernier a trahi et fait bannir Settimio aimé de sa fille Argelia désormais promise à Flavio, général dont le triomphe constitue la scène d’introduction. Évidemment, le banni (l'esule) reparait incognito et son arrestation puis sa condamnation à périr, dévoré par les bêtes dans l'arène, ne font qu'accroître la culpabilité de Murena qui, aux limites de la folie, décide de se dénoncer pour sauver l'innocent.

 

Si la première scène du triomphe parait un peu emphatique et conventionnelle avec ses fanfares et son chœur martial, l'entrée de Murena et son style vocal hésitant et décousu introduit un élément original. La musique de Donizetti s'intensifie considérablement au fil de l'action et, après un bel air lyrique d'entrée pour Settimio, son duo avec Argelia appartient à la meilleure veine du compositeur. Mais c'est surtout le grand trio qui clôt le premier acte et remplace le finale concertato habituel qui en constitue la pièce la plus originale. À l'acte II, la très belle scène de la prison et le duo de Murena avec sa fille puis sa scène de folie sont du même niveau. Après un dénouement heureux à l'emporte pièce, le rondo final d'Argelia renvoie tout à fait à l'héritage rossinien. 

 

L'opéra avait déjà été ressuscité en Italie en 1986 dans une production (enregistrée par le label Bongiovanni) dont la distribution, Ernesto Palacio, Cecilia Gasdia, Armando Ariostini et Simone Alaimo, le propre oncle de Nicola Alaimo, faisait oublier par son engagement les quelques limites du live. C'est sans doute le côté « vivant » de la représentation qui manque à la nouvelle version de studio, plus lisse et un peu aseptisée, bien qu'elle découle d'une version de concert donnée au Cadogan Hall de Londres, peu de temps auparavant. Si le nouveau titulaire de Murena – plus baryton que basse – n'a pas tout à fait la même chaleur de timbre et le même naturel expressif que son prédécesseur, il ne démérite pas au plan vocal ni dans la caractérisation et se distingue particulièrement dans sa scène de folie. Dans le rôle-titre, Sergey Romanovsky fait valoir une belle voix centrale de ténor lyrique, rompue au style belcantiste et beaucoup de sensibilité. Brillante et virtuose, Albina Shagimuratova manque parfois un peu de variété et de clair-obscur mais elle s'impose haut la main dans les aspects purement vocaux du rôle. Dans celui épisodique de Publio, Lluís Calvet i Pey paraît un peu pâle et souffre de la comparaison avec le timbre nettement plus coloré du baryton de Murena. Sous la direction de Carlo Rizzi, les chœurs d'Opera Rara et le Britten Sinfonia rendent pleinement justice à l'orchestration raffinée de Donizetti et à son flair dramatique. Comme toujours, avec Opera Rara, l'édition est particulièrement soignée avec deux essais sur l'œuvre elle-même et sur son contexte historique et esthétique. Une découverte du tout premier intérêt.


 

A.C