Véronique Gens (Circé), Judith van Wanroij (Scylla), Cyrille Dubois (Glaucus), Hasnaa Bennani (Vénus, Dorine), Jehanne Amzal (l’Amour, Témire), David Witczak (Hécate, le Chef des peuples), Purcell Choir, Orfeo Orchestra, dir. György Vashegyi.

Glossa (2 CD). 2021. 2h20. 2022. Notice en français. Distr. Integral Music.

Longtemps, il fallut se contenter de la belle intégrale de John Eliot Gardiner, enregistrée en 1986 par Erato, pour découvrir l’unique tragédie lyrique de Leclair (1746). Depuis quelques années, pourtant, les enregistrements rivaux se multiplient : après ceux de Sébastien d’Hérin (Alpha, 2014) et de Stefan Plewniak (CVS, 2021) en voici un troisième. Notons qu’il s’agit du seul à se référer à la partition manuscrite ayant servi à la création (plutôt qu’à celle éditée par Boivin), où les récitatifs se voient légèrement abrégés, sans préjudice pour l’équilibre de l’œuvre – ce qui permet de la faire tenir en deux disques au lieu de trois.

Ce n’est pas la direction de György Vashegyi qui fera le prix de cette version : nous avons souvent déploré la placidité du chef hongrois (qui, à notre humble avis, enregistre trop et trop vite), laquelle s’avère particulièrement préjudiciable dans cet ouvrage cruel, riche en climats divers. L’ouverture mollassonne donne le ton, le prélude de l’acte IV enfonce le clou : tout ne sera ici qu’élégance superficielle (les airs des démons, survolés ; la passacaille du deuxième acte, sans élasticité ni sensualité), frôlant l’apathie (les récits accompagnés, surtout ceux du dernier acte, soporifiques). Peu incisif et capté d’assez loin, l’orchestre ne rend guère justice aux fulgurances de l’écriture.

En revanche, le Purcell Choir, en progrès constant, affronte avec fougue les grandioses moments qui lui sont réservés (« Chantons, bénissons à jamais ») et la distribution vocale réserve bien des satisfactions. La Circé de Véronique Gens en impose : le timbre est certes un peu terni, l’émission moins flexible et précise que celle de Rachel Yakar, notamment dans les rares vocalises, mais le chant plus large, mieux à même de rendre le spianato de « Déesse redoutable », et l’éloquence, très différente dans ses accents, tout aussi frappante. Cyrille Dubois tient également la dragée haute à Howard Crook : moins égal que son prédécesseur, à cause du refus de la voix mixte, il se montre aussi plus vaillant, plus expressif et plus coloré – plus juvénile, pour tout dire. Judith van Wanroij n’atteint pas les mêmes sommets : si elle cisèle ses airs avec art, ses récits, trop précautionneux (la soprano n’est pas francophone), manquent de naturel et les « scènes de ménage » qui l’opposent à Glaucus restent bien froides – ce dont il faut à nouveau rendre responsable le chef. Côté rôles secondaires, on retrouve avec plaisir le solide baryton David Witczak, dans des parties trop souvent confiées à des seconds couteaux, tandis qu’Hasnaa Bennani s’épanouit davantage en Vénus qu’en Dorine et que Jehanne Amzal passe inaperçue.

C’est essentiellement pour Gens et Dubois qu’on se tournera vers cette lecture, trop neutre, globalement inférieure à celles de Gardiner et Plewniak.

 

O.R