CD Attaca 2012.130.131. Distr. Attacca Productions.
Oscar Wilde à l'opéra : on pense immédiatement à Strauss, puis ensuite à Zemlinsky. Si l'écrivain britannique semble par la suite avoir dissuadé les compositeurs lyriques, Hans Kox devait, dans les années soixante, céder à sa passion pour son roman le plus sulfureux et se risquer à en faire une œuvre scénique. La gestation de l'opéra aura été très longue et l'accueil de la première, en 1974, fut particulièrement maussade. Après une révision pour une nouvelle production en 1982, dont est issu le présent enregistrement, l'ouvrage tomba dans l'oubli. À franchement parler, on ne peut pas totalement s'en offusquer : l'écriture orchestrale, qui hésite entre expressionnisme empesé, grandiloquence postromantique, et motorique lorgnant - sans en atteindre l'élan - vers le néo-classicisme de Hindemith ou l'astringence du Zemlinsky tardif, n'est pas dénuée de moments inspirés mais est bien souvent indigeste et trop morcelée.
Le livret, signé par le compositeur, est loin d'être maladroit - il faut cependant se débrouiller avec le fac simile miniature du tapuscrit fourni ici, qui ne tient compte ni des coupes ni des réagencements -, et donne lieu à une écriture vocale souple, oscillant entre récitatif et élans lyriques contenus, dont les quelques maladresses prosodiques ne gêneront à vrai dire que les anglophones natifs. Les rôles principaux sont portés par des voix masculines, toutes trois excellentes. Si le ténor Philip Langridge se distingue naturellement par son registre de ténor mais aussi par une écriture effusive qui lui offre une plus forte amplitude expressive, les deux barytons évoluent dans une intéressante complémentarité : Lieuwe Visser, tirant plus vers un timbre de basse, donnant à son Basil un peu plus de largeur, tandis que le Lord Henry de Timothy Nolen brille davantage, ce qui correspond parfaitement à son rôle. La scène du cocktail apporte un heureux contraste vocal avec ses trois ladies à l'esprit vif, mais c'est avant tout à Roberta Alexander que revient le contrepoids féminin de l'opéra ; sa Sibyl Vane bénéficie d'une indéniable présence, portée par une confortable projection dans la « love scene », et devient particulièrement touchante dans celle où elle explique à Dorian qu'il l'a transfigurée par son amour - ce qui lui vaut la réplique cinglante : « tu as tué mon amour ». Malheureusement, cette scène au début plus léger et subtil, avec vents en accords et vibraphone en arpèges, s'achève dans un pathos qui frôle le grotesque. Les cordes, assez malingres, se signaleront à nouveau dans une introduction de la « scène du portrait » passablement larmoyante.
Si on ajoute à cela des vents pas toujours idéalement justes, une prise de son non exempte de défauts d'équilibre, généreusement dopée à la réverbération lors du remastering et qui vire même à la catastrophe dans la scène d'amour (les drop outs dignes d'une bande très endommagée, l'espace subitement compact et les instruments aussi lointains que ternes sont-ils le résultat d'un rafistolage avec un enregistrement de la création ?), et une interpolation de musique électronique très diffuse sans beaucoup plus de consistance musicale que de légitimité dramaturgique (scène du livre), on en vient alors à penser que cet l'intérêt de cet enregistrement, pourtant de toute évidence exhumé par Attaca avec un engagement militant, est avant tout celui d'un document historique.
P.R.