Dietrich Henschel (Oreste), Sarah Castle (électre), Romy Petrick (Hermione), Rosemary Joshua (Hélène), Finnur Bjarnason (Apollon / Dionysos), Johannes Chum (Menelas), Ensemble vocal et Chœur du Nederlandse Opera, dir. Marc Albrecht (live 2011).
CD Challenge Classics CC72605. Distr. NewArts Int.

En dépit de son imposant catalogue et de ses six opéras, Manfred Trojahn enrichit la liste des compositeurs dont le nom filtre à peine en France. Créé en 2011 au Nederlandse Opera pour s'inscrire dans une série thématique sur les Atrides, son récent Orest d'après Euripide reprend l'action là où la laisse l'Elektra de Strauss, après le meurtre de Clytemnestre par Oreste et Électre. Le point de vue subjectif - nous sommes en quelque sorte « dans la peau d'Oreste » et appréhendons des événements fortement anamorphosés par une psychologie hautement instable - justifie pleinement la tension expressionniste d'une écriture puissante et efficace.

Le rôle-titre, que l'on jurerait cousu sur mesure pour Dietrich Henschel, exalte les qualités du baryton : grande fluidité entre les registres et entre les teintes, chaleur et présence, implication dramaturgique qui garantit au personnage une véritable profondeur. Son monologue initial, dans un état d'hébétude hallucinatoire, est impressionnant, et le dialogue avec Electre à la scène 4 - de loin la plus introspective de l'opéra -, bien qu'apaisé, conserve une tension résiduelle inhérente aux personnages. Les rôles féminins sont particulièrement bien servis et c'est, outre les qualités timbriques individuelles, la confrontation des voix (à la scène 1, le mezzo charpenté de Sarah Castle tranche sur les volutes diaphanes des aigus de Rosemary Joshua) ou leur enchevêtrement (les voix de Hermione et Hélène, assez proches, se fondent à la scène 5 en un sublime duo) qui constitue l'une des plus grandes réussites de l'écriture vocale de Trojahn. Des deux voix de ténor (Apollon et Ménélas), on a une préférence pour le vibrato plus contenu du second.

Dynamique et incisif, l'orchestre compte pour une part non négligeable dans le standing de cet opéra. Bien qu'y alternent certaines couleurs évoquant Strauss ou Berg, mais aussi l'énergie condensée et éruptive chère à Varèse, sans que ne soient dédaignées des doublures héritées du romantisme, le compositeur lui confère, au gré de belles trouvailles (les oscillations légères des flûtes qui entourent d'un discret halo la mélodie d'Hélène à la sc. 5, les trompettes bouchées qui prolongent d'une vibration fêlée celle d'Hermione), une touche finalement personnelle. Marc Albrecht conduit avec une égale attention les progressions implacables, notamment dans un intermezzo irascible où règnent cuivres et timbales, et les textures finement innervées. On restera difficilement insensible à la force de cet opéra au rythme et aux proportions magistralement maîtrisés, au lyrisme généreux mais élancé et sans surcharge.

P.R.