Céline Scheen (Circe), Furio Zanasi (Ulisse), Sergio Foresti (Nettuno), Fernando Guimaraes (Euriloco), Zachary Wilder (Mercurio), Mariana Flores (Venere), Clematis, Choeur de chambre de Namur, dir. Leonardo Garcia Alarcon (2012).
CD Ricercar 342. Notice et livret en français. Distr. Outhere.

Premier opéra créé à Bruxelles et dans les « Pays-Bas du Sud » (la Belgique), cet Ulysse dans l'île de Circé est commandé en 1650 par l'archiduc d'Autriche pour fêter le mariage de Philippe IV d'Espagne (aussi souverain des Flandres). Cinq ans plus tard, la reine Christine de Suède - qui vient d'abdiquer et fait route vers Rome - demande à le voir, puis à le revoir. Ce n'est donc pas sans raisons que l'on ressuscite aujourd'hui cet ouvrage européen, œuvre d'un auteur obscur  - on ne sait pas même où est né Gioseffo Zamponi (ca1600 ?-1662) - mais qui tient dignement sa place entre Rossi (Orfeo, 1647) ou Cavalli (Ercole amante, 1662) composant pour Louis XIV et Cesti écrivant pour Léopold I° (L'Argia ; Il Pomo d'oro). C'est plutôt à ce dernier que fait songer sa musique, où s'affirme la césure entre récitatif et air, où se multiplient les pages chantées et dansées à tonalité populaire, mais il faut remarquer la très forte ressemblance (sans doute pas fortuite) de ses premières scènes avec celles du Retour d'Ulysse (1640) de Monteverdi : fureur de Neptune, suivie d'un monologue d'Ulysse et de l'apparition d'une divinité bienfaisante déguisée en berger (ici, Mercure). Cependant, Ulisse all'Isola di Circe n'est pas un dramma in musica semblable à ceux qui triomphent auprès du public mélangé de Venise, mais une œuvre de circonstance à l'intrigue squelettique (échoué dans l'île de la magicienne Circé, Ulysse parvient à s'arracher à ses charmes, malgré une passion brièvement partagée), où abondent les intermèdes festifs (sept rôles de dieux, machines volantes, statues animées, etc.), voués aux sortilèges du scénographe Torelli et du chorégraphe Balbi. Dans ce contexte, l'approche hédoniste, bigarrée, grand spectacle d'Alarcon nous convainc davantage que dans ses récents oratorios de Falvetti, plébiscités par la presse. Le luxe orchestral, ici, paraît chargé de sens (les trombones grondent avec Neptune, les chalémies cancanent avec le Satyre, les flûtes gazouillent avec Vénus), d'autant qu'il est parfois prescrit par l'auteur, notamment dans deux passages irrésistibles, où s'illustre l'ineffable Ensemble Clématis : la Sinfonia soave accompagnant la déesse de Cythère et le langoureux duo en forme de chaconne unissant Ulysse à Circé. Ajoutons que l'expérience de la scène approfondie avec l'Elena de Cavalli, longuement promenée en tournée après sa création au dernier Festival d'Aix, semble avoir doté l'incandescent chef argentin d'un sens dramatique plus aigu. Si les réjouissances des deux derniers actes ploient un peu trop sous les rubans, percussions et mignardises, l'apport du chœur de Namur (dans le réveil des Statues et le finale) apparaît parfaitement dosé. Et les interprètes principaux possèdent un charisme suffisant pour contrebalancer cette opulence orchestrale - particulièrement les hommes : Dominique Visse (imité de trop près par Fabian Schofrin) nous ressort son inénarrable vieille duègne, Sergio Foresti et Matteo Belloto campent d'imposants Neptune et Jupiter, Furio Zanasi, impeccable gentilhomme, dessine un Ulysse aussi viril qu'élégant, et, par-dessus tout, le ténor aigu Zachary Wilder dote Mercure d'une sensualité, d'une sophistication folles ! Ajoutons que le livre-disque édité par Ricercar est d'une beauté en phase avec son contenu.

O.R.