Près de cent cinquante ans après sa création, Fantasio est restitué à la gloire dans les lieux mêmes qui l’avaient vu choir rapidement, six ans après une flamboyante renaissance du phénix au Théâtre du Châtelet. L’intimité de la salle Favart et son acoustique propice au parlé-chanté confirment l’opportunité de ce retour, plus encore elles rendent à cette partition une grâce que l’immensité du Châtelet diluait quelque peu. Ainsi la production de Thomas Jolly – saluée et présentée brillamment par Chantal Cazaux en 2017 – joue le funambulisme, équilibrée entre l’insolence vif-argent des amis de Fantasio, le caractère rêveur et piquant du personnage, la pompe caricaturale de la cour, le comique potache du prince de Mantoue et son aide de camp.
La distribution réunit plusieurs artistes présents sur la scène du Châtelet en 2017 comme Laurent Campellone dirigeant de main de maître l’Orchestre de chambre de Paris. Les mille couleurs de l’orchestre d’Offenbach apportent un joli contrepoint au spectacle qui décline en scène un nuancier de noirs enivrant. Le chef passe de la rêverie mélancolique à la liesse théâtrale de la foule munichoise avec souplesse, il accompagne enfin les chanteurs avec un sens du texte égal à celui du chant. On reconnaît le roi de Bavière sympathiquement grotesque de Franck Leguérinel, voix burinée pour dire ce roi-bourgeois en majesté de pacotille, ou le sonore prince de Mantoue campé par Jean-Sébastien Bou – très en voix et parfaitement fat !
Au premier rang des nouveaux venus, on trouve Gaëlle Arquez dans le rôle de Fantasio. Sa voix ample vieillit un peu le personnage et lui confère un surcroît de gravité tragique… la ligne est parfois trop châtiée et le texte se pare de quelques accents trop hugoliens pour cette occurrence, mais on ne peut bouder le plaisir d’un chant opulent en langue française. Jodie Devos possède toute la palette de la princesse Elsbeth, la voix a pris de l’ampleur depuis son album consacré à Offenbach, conférant une profondeur nouvelle au personnage, même si la souplesse vocale s’en trouve légèrement affectée. Thomas Dolié livre une prestation remarquée en Sparck, double pragmatique et lucide de Fantasio. Dans une forme superlative, le baryton est à la fois oiseau moqueur et chanteur, ordonnateur du chaos et complice fiable, le rôle semble taillé sur mesure pour lui. Enfin, le Marinoni truculent de François Rougier, la voix claire et bien projetée, complète idéalement le duo comique formé avec son prince.
Offenbach est décidément à la fête à Paris en cette fin d’année, puissent ces auspices propices conduire les maisons d’opéra à poursuivre l’exploration et la diffusion de ce répertoire, y compris en prenant les chemins de traverse !
J.C
À lire : notre édition de Fantasio/L'Avant-Scène Opéra n° 336