Cinq ans après sa création, l’Opéra Ballet Vlaanderen reprend l’étonnante production des Pêcheurs de perles, première mise en scène lyrique du collectif FC Bergman qui nous avait particulièrement séduit. Transposant l'action dans une maison de retraite où végète au premier tableau Zurga, la mise en scène joue habilement d'un mélange d'humour noir et de sentimentalité pour évoquer l'idée de l'amour éternel dont le feu se rallume lorsque apparait Leïla, devenue une sorte de vieille star que seul le chant peut encore faire sortir de sa torpeur. Le décor, monté sur une tournette, évoque avec beaucoup de réalisme tour à tour le salon, la morgue et une sorte de salle d'embaumement du mouroir sinistre dont les pensionnaires tombent comme des mouches. Au moment de leurs retrouvailles, Nadir et Zurga se retrouvent projetés dans un univers fantasmatique représenté par une immense vague figée (celle de l'amour prêt à tout balayer) où repose le corps de la jeune Leïla. C'est dans ce décor aussi que les amants coupables retrouveront leur jeunesse et qu'un couple de danseurs nus viendra évoquer leurs ébats pendant leur duo. Dès lors, les différents espaces temporels et mentaux vont se téléscoper, les oiseaux de mer tout envahir et l'affolement de la tournette suggérer celui de l'âme des personnages. L'ensemble reste toujours aussi pertinent, restituant pleinement cette idée de l'irruption du passé dans le présent au centre du livret, et évitant habilement l'orientalisme de pacotille traditionnel.

Alternant dans la seconde distribution avec Elena Tsallagova (qui était déjà Leïla dans la production de 2018), la sud-coréenne Sarah Yang n'a pas tout à fait la même clarté d'articulation ni la même grâce scénique. Mais sa jeune voix de soprano lyrique fait merveille dans le grand air du deuxième acte, avec un beau timbre charnu et des aigus lumineux. Elle rend par ailleurs pleinement justice aux aspects colorature du rôle dans son air d'entrée qui semble ressusciter l'assemblée des pensionnaires enthousiastes. Le Nadir de Stefan Cifolelli déçoit quelque peu avec un registre aigu couvert et une diction française peu compréhensible, laissant sentir en permanence l'effort et un certain manque d'aisance dans cette tessiture de ténor lyrique. En Zurga, le baryton belge Quirijn de Lang compense une musicalité un peu limitée par une incarnation particulièrement investie et une articulation française superlative. Il évoque la souffrance de son personnage de façon très convaincante et se révèle singulièrement touchant dans les scènes finales où il accepte de mourir pour libérer le couple des amants. Il revient à la superbe basse d'Eugene Richards III d'assumer les quelques interventions de Nourabad dont le personnage n'est pas vraiment identifié dans cette production. Dirigeant les excellents chœurs et l'orchestre symphonique de l'Opera Ballet Vlaanderen, Karel Deseure offre une vision puissante et très architecturée de la partition de Bizet, donnée ici sans entracte, ce qui en renforce encore la force et la tension.

A.C