La mythique production de Robert Carsen a atteint ce soir-là sa 76e représentation, à la fin de la série ce nombre représentera plus de la moitié du total des apparitions des Contes sur la scène de l’Opéra de Paris. Devenue un classique, la mise en scène de Robert Carsen ne perd rien de sa puissance d’émerveillement et de fascination, puisant à la fois dans la modernité (beaucoup plus qu’il n’y paraît : multiplicité des points de vue sur la mise en abyme théâtrale, esthétique post-moderne…) et convoquant quelques éléments classiques. La direction d’acteurs, variée, entre comique de tréteaux et intensité dramatique, tire encore le meilleur d’une équipe parfaitement investie sous la direction de Marguerite Borie, en charge de cette reprise.
À l’intérêt toujours renouvelé du spectacle, s’ajoute pour cette nouvelle édition une équipe musicale particulièrement solide et homogène – même si tous n’atteignent pas les mêmes sommets. Sur les cimes, voire plus haut encore, Benjamin Bernheim, Hoffmann incarné, jouant de l’ironie grinçante et désabusée du personnage comme de sa naïveté amoureuse. La ligne est exacte, l’impulsion juste, la puissance tombe à point nommé et les couleurs prodigieuses ! Après une entrée en matière un peu dure (émission droite), le Nicklausse/la muse d’Angela Brower fait valoir un joli timbre et une belle souplesse, mais manque d’ampleur dans le grave pour passer l’orchestre. Christian Van Horn a le timbre charbonneux mais écrase les extrêmes graves et il s’illustre mieux dans le legato que dans les passages syllabiques. Les trois amours du poète sont homogènes, Pretty Yende compense quelques vocalises « savonnées » par l’abattage scénique, la beauté du timbre et la puissance vocale. Rachel Willis-Sorensen propose une Antonia de caractère, à la mesure de son immense voix aux registres parfaitement joints. Sensible et attentive au sens de la couleur, elle signe une prestation de haut vol, et on souhaite la réentendre vite à l’Opéra de Paris (elle y fait ses débuts dans cette production) dans un rôle mieux taillé à sa mesure. Enfin, Antoinette Dennefeld campe avec succès une Giulietta manipulatrice. Sylvie Brunet-Grupposo en Mère d’Antonia est un véritable luxe, Vincent Le Texier est touchant en Crespel, et Christophe Mortagne nous fait jubiler par sa vis comica.
La révélation de la soirée est en fosse : Eun Sun Kim dirige Offenbach avec finesse et l’orchestre de l’Opéra de Paris avec une incontestable autorité. Elle propose ainsi une lecture où légèreté et pétillement prennent le pas, sans pour autant délaisser les inquiétantes couleurs qui nourrissent d’un clair-obscur fantastique à la manière de Gustave Doré. La cheffe laisse la place aux solistes (tant instrumentaux que vocaux) de déployer leurs couleurs, et fait preuve d’un sens certain du théâtre avec dynamisme et à propos. Talent à suivre au théâtre aussi !
J.C.