Adèle Carlier (Bastienne/Zerbine), Marc Scoffoni (Colas/Pandolphe), David Tricou (Bastien). Orchestre de l’Opéra Royal de Versailles, dir. Gaétan Jarry (Château de Versailles, Salle Marengo, 18-21 décembre 2022).
Château de Versailles CVS 105. 2CD. Notes et livret en français, anglais et allemand. Distr. Outhere.
En couplant les versions françaises de ces ouvrages de Pergolèse et de Mozart, l’équipe réunie à Versailles autour du chef Gaétan Jarry propose en quelque sorte un hommage à Justine Favart (1727-1772), chanteuse, actrice, danseuse et librettiste qui marqua de sa forte empreinte la scène lyrique du XVIIIe siècle. Parmi ses nombreux titres de gloire, on retient notamment son interprétation triomphale de Zerbine dans La Servante maîtresse de Pergolèse qu’elle joua en 1754 à la Comédie-Italienne dans la version française de Pierre Baurans (1710-1764). Si les représentations en italien de La serva padrona par la troupe d’Eustachio Bambini à l’Opéra de Paris avaient suscité deux ans plus tôt un indéniable intérêt, il appartient en fait bien davantage à Mme Favart d’avoir véritablement contribué au retentissement d’une œuvre qu’on associe souvent, par un raccourci trop rapide, au début de la Querelle des Bouffons. C’est donc naturellement vers cette traduction tout à fait réussie de Baurans que s’est tourné Gaétan Jarry, qui dirige l’Orchestre de l’Opéra Royal de Versailles avec l’esprit à la fois tendre et piquant qui sied à l’atmosphère bon enfant de la pièce. Dans le rôle du maître aveuglé sur ses propres sentiments, Marc Scoffoni traduit fort bien le côté râleur (« Sans fin, sans cesse,/Nouveau procès ! »), puis la stupéfaction devant la découverte de son amour (« Quel est mon embarras »). À la clarté de sa diction il joint un sens du comique qui compense un ambitus quelque peu restreint. La Zerbine d’Adèle Carlier possède quant à elle agilité vocale et tempérament enjoué, mais l’aigu lui pose quelques problèmes et le texte chanté s’avère difficilement compréhensible.
Un an avant d’endosser le rôle de Zerbine, Justine Favart avait eu beaucoup de succès dans Les Amours de Bastien et Bastienne (Comédie-Italienne, 1753) dont elle avait rédigé le livret avec Charles Harny de Guerville à partir du Devin du village (1752) de Rousseau. Il s’agissait en fait d’une parodie en patois paysan pour laquelle Charles Sodi avait arrangé plusieurs airs populaires (ou vaudevilles). L’ouvrage fut rapidement traduit en allemand et joué au Burgtheater de Vienne en 1755, puis adapté en livret pour Mozart en 1768. La traduction retenue pour les fins de cet enregistrement est celle de la création française, fort tardive, qui eut lieu à l’Opéra-Comique en 1900. Les auteurs en sont Henry Gauthier-Villars, alors mari de Colette, et Georges Hartmann, éditeur de musique et librettiste de Massenet pour Hérodiade et Werther. Les dialogues parlés ont pour leur part été écrits par Laurent Delvert, qui a de plus mis en scène les deux œuvres associées ici au Théâtre de la Reine en juillet 2023. Moins pétillante que dans La Servante maîtresse, l’exécution musicale fait en vérité paraître longuette une pièce pourtant délicieuse qui dure moins de trois quarts d’heure.Trop sages dans les dialogues, les trois solistes peinent à nous faire pénétrer dans cet univers situé d’une certaine façon à la frontière de l’enfance et du monde adulte, entre candeur et dissimulation. Éclipsant quelque peu le couple formé par Adèle Carlier et David Tricou, Marc Scoffoni s’avère davantage en situation en Colas malicieux, en particulier dans son amusant « Diggi, daggi, schurry ». Peut-être eût-il été plus intéressant, en définitive, d’immortaliser non pas la version audio de ces deux brefs opéras mais plutôt le spectacle monté dans le ravissant écrin du Trianon afin de bénéficier d’un surcroît d’intensité dramatique.
L.B