Yoann Le Lan (Gilbert) et Hugo Laporte (Henri). © Jessica Latouche
Superbe début de saison à l’Opéra de Québec qui, en affichant la version française du chef-d’œuvre de Donizetti telle que donnée au théâtre de la Renaissance en 1839, offre à ses spectateurs le privilège de découvrir la Lucie exceptionnelle de Jodie Devos. Huit mois après sa prise de rôle à Tours dans cette même production de Nicola Berloffa, la soprano belge éblouit par son interprétation déjà accomplie de l’héroïne inspirée de Walter Scott. À une voix souple d’une belle rondeur et au timbre absolument exquis, elle joint un art du chant admirable, une extrême sensibilité et une attention constante portée au poids des mots. Loin de se limiter à une virtuosité gratuite, l’agilité vocale est toujours chez elle synonyme d’expression comme elle le démontre dès son air d’entrée (« Que n'avons-nous des ailes ») et surtout dans sa scène de la folie, magistrale de bout en bout. On pourrait certes souhaiter que la voix perce davantage la masse sonore dans le sextuor, mais c’est là un détail de peu d’importance, eu égard à ses innombrables qualités. Très attachante, l’actrice est en outre douée pour suggérer dès sa première apparition la fragilité psychologique aussi bien que la passion dévorante du personnage de Lucie.
Se faisant un point d’honneur de défendre le chant français, Jean-François Lapointe, directeur artistique et général de l’Opéra de Québec, a réuni autour de sa vedette une remarquable distribution entièrement francophone. Déjà apprécié en Nemorino de L’elisir d’amore (octobre 2021), Julien Dran campe un Edgard tendre, blessé, puis impétueux, aux accents déchirants dans le dernier tableau. D’une grande intelligence musicale, il possède un instrument capable non seulement d’une puissance étonnante mais de nuances ravissantes. Habitué de la compagnie québécoise, Hugo Laporte prête sa voix aux riches harmoniques et au merveilleux legato à Henri, dont il traduit bien le côté retors. Privé dans la version de Royer et Vaëz de son duo avec Lucie au deuxième acte, le Raymond de Tomislav Lavoie fait néanmoins grande impression dans son récit du meurtre à l’acte suivant. Yoann Le Lan incarne pour sa part un Gilbert cauteleux à souhait, auquel conviennent particulièrement bien ses accents incisifs et son timbre de ténor de caractère. Moins falot que dans l’original italien, Arthur (le mari assassiné) bénéficie de la voix généreuse mais limitée dans l’aigu d’Emmanuel Hasler. Dans une forme légèrement en deçà de son excellence habituelle, le chœur nous a semblé un peu moins nourri qu’à l’accoutumée. Extraordinaire de raffinement, Jean-Marie Zeitouni insuffle également beaucoup de dynamisme à la partition, tout en réussissant à maintenir un parfait équilibre entre la fosse et la scène. Très sollicité, le pupitre des cors se distingue tout au long de la représentation.
Moins mémorable sur le plan scénique, cette Lucie se déroule à peu près au moment de la création de l’ouvrage, si l’on en juge par les costumes. Lorsque le rideau se lève, les choristes sont assis sur des chaises de style Louis XVI et feuillettent un livre tout en chantant les plaisirs de la chasse… Sans doute pour évoquer l’enfermement mental de Lucie, une conque blanche descend (bruyamment) des cintres lorsqu’elle est sur scène. Quant au tableau final, il se déroule non pas parmi les tombes des Ravenswood mais plutôt en plein milieu d’un champ de blé… D’une sobriété confinant à l’épure, la mise en scène de Nicola Berloffa souffre principalement d’une direction d’acteurs rudimentaire qui peine à nous faire participer véritablement à la violence du drame. En voulant s’écarter des outrances grand-guignolesques dans lesquelles versent trop de metteurs en scène, Berloffa aseptise quelque peu le drame, à l’instar de Lucie, dont la mise ne trahit nul désordre après qu’elle a commis son meurtre et dont la robe demeure d’un blanc étrangement immaculé. De l’aspect visuel du spectacle, on retient en fait bien davantage les splendides éclairages de Valerio Tiberi, qui parvient à créer des atmosphères oppressantes, voire lugubres, bien en accord avec le caractère tourmenté de l’œuvre. Cela dit, c’est bien sûr d’abord pour Jodie Devos et sa très belle distribution que cette Lucie de Lammermoor marquera les esprits.
Superbe début de saison à l’Opéra de Québec qui, en affichant la version française du chef-d’œuvre de Donizetti telle que donnée au théâtre de la Renaissance en 1839, offre à ses spectateurs le privilège de découvrir la Lucie exceptionnelle de Jodie Devos. Huit mois après sa prise de rôle à Tours dans cette même production de Nicola Berloffa, la soprano belge éblouit par son interprétation déjà accomplie de l’héroïne inspirée de Walter Scott. À une voix souple d’une belle rondeur et au timbre absolument exquis, elle joint un art du chant admirable, une extrême sensibilité et une attention constante portée au poids des mots. Loin de se limiter à une virtuosité gratuite, l’agilité vocale est toujours chez elle synonyme d’expression comme elle le démontre dès son air d’entrée (« Que n'avons-nous des ailes ») et surtout dans sa scène de la folie, magistrale de bout en bout. On pourrait certes souhaiter que la voix perce davantage la masse sonore dans le sextuor, mais c’est là un détail de peu d’importance, eu égard à ses innombrables qualités. Très attachante, l’actrice est en outre douée pour suggérer dès sa première apparition la fragilité psychologique aussi bien que la passion dévorante du personnage de Lucie.
Se faisant un point d’honneur de défendre le chant français, Jean-François Lapointe, directeur artistique et général de l’Opéra de Québec, a réuni autour de sa vedette une remarquable distribution entièrement francophone. Déjà apprécié en Nemorino de L’elisir d’amore (octobre 2021), Julien Dran campe un Edgard tendre, blessé, puis impétueux, aux accents déchirants dans le dernier tableau. D’une grande intelligence musicale, il possède un instrument capable non seulement d’une puissance étonnante mais de nuances ravissantes. Habitué de la compagnie québécoise, Hugo Laporte prête sa voix aux riches harmoniques et au merveilleux legato à Henri, dont il traduit bien le côté retors. Privé dans la version de Royer et Vaëz de son duo avec Lucie au deuxième acte, le Raymond de Tomislav Lavoie fait néanmoins grande impression dans son récit du meurtre à l’acte suivant. Yoann Le Lan incarne pour sa part un Gilbert cauteleux à souhait, auquel conviennent particulièrement bien ses accents incisifs et son timbre de ténor de caractère. Moins falot que dans l’original italien, Arthur (le mari assassiné) bénéficie de la voix généreuse mais limitée dans l’aigu d’Emmanuel Hasler. Dans une forme légèrement en deçà de son excellence habituelle, le chœur nous a semblé un peu moins nourri qu’à l’accoutumée. Extraordinaire de raffinement, Jean-Marie Zeitouni insuffle également beaucoup de dynamisme à la partition, tout en réussissant à maintenir un parfait équilibre entre la fosse et la scène. Très sollicité, le pupitre des cors se distingue tout au long de la représentation.
Moins mémorable sur le plan scénique, cette Lucie se déroule à peu près au moment de la création de l’ouvrage, si l’on en juge par les costumes. Lorsque le rideau se lève, les choristes sont assis sur des chaises de style Louis XVI et feuillettent un livre tout en chantant les plaisirs de la chasse… Sans doute pour évoquer l’enfermement mental de Lucie, une conque blanche descend (bruyamment) des cintres lorsqu’elle est sur scène. Quant au tableau final, il se déroule non pas parmi les tombes des Ravenswood mais plutôt en plein milieu d’un champ de blé… D’une sobriété confinant à l’épure, la mise en scène de Nicola Berloffa souffre principalement d’une direction d’acteurs rudimentaire qui peine à nous faire participer véritablement à la violence du drame. En voulant s’écarter des outrances grand-guignolesques dans lesquelles versent trop de metteurs en scène, Berloffa aseptise quelque peu le drame, à l’instar de Lucie, dont la mise ne trahit nul désordre après qu’elle a commis son meurtre et dont la robe demeure d’un blanc étrangement immaculé. De l’aspect visuel du spectacle, on retient en fait bien davantage les splendides éclairages de Valerio Tiberi, qui parvient à créer des atmosphères oppressantes, voire lugubres, bien en accord avec le caractère tourmenté de l’œuvre. Cela dit, c’est bien sûr d’abord pour Jodie Devos et sa très belle distribution que cette Lucie de Lammermoor marquera les esprits.
L. B
A lire : notre édition de Lucia di Lammermoor/L'Avant-Scène Opéra n° 233
Jodie Devos (Lucie). © Jessica Latouche