Virginie Verrez (le prince Raphaël), Anne-Catherine Gillet (Zanetta), Antoinette Dennefeld (Régina), Katia Ledoux (Pola), Christophe Gay (Cabriolo), Josh Lovell (le prince Casimir), Christophe Mortagne (Trémolini), Loïc Félix (le directeur de la loterie/Sparadrap). London Philharmonic Orchestra et Opera Rara Chorus, dir. Paul Daniel (2022).
Opera Rara ORC63 (2 CD). 2h01. Notes, synopsis et livret en français et en anglais. Distr. Warner Classics.
Depuis l’enregistrement en 1977 de Christopher Columbus, pastiche réalisé à partir de 21 partitions, la firme Opera Rara a grandement contribué à la diffusion du répertoire offenbachien avec la parution de Robinson Crusoé (version anglaise, 1980), suivi du florilège d’extraits Entre Nous (2006), puis de Vert-Vert (2008) et surtout de Fantasio (2013). Comme pour ce dernier titre, l’enregistrement de La Princesse de Trébizonde a été réalisé grâce au travail de l’infatigable musicologue Jean-Christophe Keck, qui est allé aux sources de l’ouvrage et dont les recherches lui ont permis de retrouver des pages tombées dans l’oubli.
D’abord donné à la hâte à Baden-Baden en juillet 1869, l’opéra-bouffe comprenait à l’origine deux actes pour lesquels Offenbach avait repris certains numéros qu’il avait composés sept ans plus tôt pour La Baguette (ou Fédia), ouvrage destiné à l’Opéra-Comique. Quelques-uns de ces numéros constituent le très précieux complément du deuxième disque de ce coffret qui nous aide ainsi à mieux saisir l’importance des coupures que n’hésitait pas à pratiquer le compositeur afin d’éviter toute longueur. Devant l’extraordinaire charme mélodique des airs et ensembles supprimés, on ne peut s’empêcher de penser à la quantité de trésors qui furent ainsi sacrifiés au fil des années sur l’autel de l’efficacité dramatique. Cela dit, la version finale en trois actes, telle que donnée aux Bouffes-Parisiens en décembre 1869, valut à Offenbach un très beau succès qui perdura dans les années 1870. Si la qualité de la partition ne laisse aucun doute, il faut cependant convenir que le livret de Charles Nuitter et Étienne Tréfeu ne brille guère par son originalité et semble bien pâlichon en regard des chefs-d’œuvre de Meilhac et Halévy. Cette histoire de prince tombé amoureux d’une saltimbanque ayant pris la place d’une poupée de cire – la princesse de Trébizonde du titre – et dont elle a cassé le nez par inadvertance ne réussit jamais à captiver réellement et souffre d’un traitement assez puéril. À vrai dire, on est ici bien loin de l’atmosphère fantastique de l’acte d’Olympia des Contes d’Hoffmann…
Il faut d’abord savoir gré à Opera Rara d’avoir réuni une distribution presque exclusivement francophone, atout majeur non seulement dans les parties chantées mais dans les dialogues. Quoique très abrégés, ces derniers sonnent avec un naturel qui faisait cruellement défaut dans les parutions précédentes. Sur le plan musical, on est à la fête grâce à la direction pétillante et rythmée à souhait de Paul Daniel, qui se coule avec bonheur dans l’univers d’Offenbach. Remarquable aussi bien dans l’expression de la folle exubérance que de la tendresse rêveuse, le London Philharmonic se situe au sommet. Étoile incontestée de ce coffret, Anne-Catherine Gillet est une délicate Zanetta dont le timbre juvénile se prête idéalement à son personnage de jeune fille naïve découvrant l’amour. Dans la fringante ronde de la Princesse de Trébizonde (« Femme du grand Rhotomago »), elle entraîne toute la troupe avec une bonne humeur contagieuse. Ses duos avec le prince Raphaël n’atteignent cependant pas à toute la grâce souhaitée en raison du choix de la mezzo Virginie Verrez. Pour le rôle le plus important de l’œuvre, il aurait fallu une chanteuse à la voix plus souple : le vibrato prononcé, la couleur sombre et les aigus difficultueux nuisent au portrait du jeune homme à peine sorti de l’adolescence. Dans la seule autre version disponible, celle de l’ORTF dirigée par Marcel Cariven en 1966 (Malibran), on pouvait certes déplorer le choix d’un ténor en Raphaël, mais Aimé Doniat s’y révélait d’une touchante poésie et particulièrement amusant dans l’ariette du mal de dents. Le reste de la distribution n’appelle que des éloges : le Cabriolo enjoué de Christophe Gay, le prince Casimir au chant soigné de Josh Lovell, la somptueuse Paola de Katia Ledoux, la Régina haute en couleur d’Antoinette Dennefeld, le Trémolini désopilant de Christophe Mortagne et le Sparadrap plein de bonhomie de Loïc Félix sont tous excellents. Après ce superbe enregistrement, il nous reste à souhaiter qu’Opera Rara ait la bonne idée de poursuivre dans cette voie avec d’autres ouvrages injustement méconnus comme Geneviève de Brabant, Le Pont des soupirs ou encore Madame l’Archiduc…
L.B