© OBV/Annemie Augustijns

Créée en 2021 sur la scène du Grand Théâtre de Genève en pleine pandémie, la production de La Clémence de Titus de Milo Rau, nous avait semblé particulièrement audacieuse et innovante lorsque nous l’avions découverte en streaming. Revue sur la scène de l’Opéra des Flandres, sans l’effet de surprise de la découverte, et privée du support de la réalisation audiovisuelle, ce sont ses faiblesses qui nous ont d’abord frappé. En superposant plusieurs discours – notamment celui historique et critique qui veut voir dans le livret de Métastase revu par Mazzola une ultime tentative de récupération monarchique face aux événements révolutionnaires qui se déroulaient alors en France, à quoi vient s’ajouter celui sur l’art et ses rapports avec le pouvoir –, le metteur en scène suisse fragmente l’œuvre, la prive de sa dramaturgie interne et lui retire une partie de son impact. La deuxième partie, en ce sens, est particulièrement significative. Tandis que les personnages de l’opéra chantent un à un leur air devant un micro, se passant le relai sous la forme de ce cœur qui a été arraché à une victime propitiatoire au prologue (allusion sans doute au sacrifice du bouc de la tragédie antique), la vidéo nous entraîne sur le parcours des dix-huit figurants représentant le peuple, absent de l’œuvre, mais cité à comparaître à l’arrière-plan de l’intrigue de cour et qui peu à peu s’infiltre dans l’action, participant au coup d’état, subissant sa répression et ressuscitant Titus assassiné dans un étonnant rite chamanique.
 
Sans doute le metteur en scène veut-il dire trop en même temps, parlant de sa propre démarche, de la valeur de l’art face à la crise de la civilisation, de la violence de notre société et de l’hypocrisie du politique. À force de surcharger le propos, il finit par quelque peu « noyer le poisson » et disperse l’attention du spectateur. On reconnaît certes un sens aigu du théâtre à sa direction d’acteurs, un intérêt certain dans le fait de mettre l’œuvre en résonance avec le monde contemporain mais le spectateur est régulièrement détourné de l’essentiel, sa force dramatique intrinsèque et la performance des interprètes, si tant est que l’essentiel soit pour Milo Rau l’opéra de Mozart.
 
L’œuvre peut en tout cas compter sur la direction d’Alejo Perez pour retrouver sa pleine dimension et une certaine forme de continuité. À la tête d’un ensemble orchestral de très haut niveau, dont on distinguera la sublime clarinette du grand air de Sesto et le cor de basset de celui de Vitellia, la lecture qu’en donne le directeur musical est remarquablement accentuée et vibrante. Sa direction souple mais pleine d’énergie n’a rien à envier à celle de ses collègues « baroqueux ». Sans jamais les singer, il en a retenu la leçon et intègre de façon très subtile le pianoforte de Pedro Beriso à une texture orchestrale colorée et sans lourdeur qui révèle toute la richesse des plans sonores et construit le discours dramatique, faisant entendre Mozart souvent visionnaire au plan formel, comme dans le finale du premier acte.
 
Du côté de la distribution, le Titus de Jeremy Ovenden incarne avec subtilité son double personnage d’artiste « allumé » et de tyran en position de faiblesse. Voix charpentée et vocaliste irréprochable, il s’avère le chanteur le plus idiomatique d’un cast dont l’italien est souvent approximatif. Seule transfuge de la production genevoise, Anna Goryachova n'a rien perdu de son énergie et son Sesto au timbre chaleureux possède un sens du style sans faille qui lui vaut la part du lion dans le succès final du spectacle. Encore un peu verte, avec des aigus souvent stridents, la Vitellia de Anna Malesza-Kutny peut encore gagner en capacité à nuancer son personnage qui paraît uniformément sur le versant vindicatif comme le montre son dernier air « Non più di fiori » où elle transcende ses limites. Efficace mais peu subtil l’Annio de Maria Warenberg et très prometteuse la Servilia de la Coréenne Sarah Yang qui ne peut toutefois faire oublier la délicate Marie Lys de la production originale. Si la voix de la basse d’Eugene Richards III est imposante, le chanteur devra encore un peu affiner sa prononciation italienne qui parait bien sommaire dans les récitatifs qui font l'essentiel de son rôle. Parfaitement homogène, le chœur de l’Opera Ballet Vlaanderen apporte comme toujours une contribution de haut niveau à ce spectacle quelque peu frustrant.

A.C


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