Iréne Theorin (Turandot), Chris Merritt (Altoum), Alexander Vinogradov (Timur), Jorge de León (Calaf), Ermonela Jaho (Liù), Toni Marsol (Ping), Francisco Vas (Pang), Mikeldi Atxalandabaso (Pong), Michael Borth (Un mandarin), José Luis Casanova (la voix du Prince de Perse). Chœur et Orchestre symphonique du Grand Théâtre du Liceu, dir. Josep Pons, mise en scène : Franc Aleu (Barcelone, octobre 2019).
DVD C Major 763508. Notes et synopsis en anglais, allemand et français. Sous-titrage en français. Distrib. DistrArt Musique.
À n’en pas douter, la production de Turandot de Franc Aleu (la première mise en scène du vidéaste attitré de la Fura dels Baus), devait faire un effet bœuf sur la scène du Liceu. Son habillage vidéo très sophistiqué et ses costumes un rien tape-à-l’œil nous entraînent dans un univers high tech quelque part entre science-fiction et heroic fantasy dont la richesse des images et la complexité a un peu de mal à passer à l’écran. Si les ambiances lumineuses sont particulièrement réussies, de même que les mouvements des chœurs, la profusion des images qui fort heureusement se calme un peu au dernier acte, a tendance à phagocyter l'attention du spectateur. Il est souvent bien difficile de distinguer dans ce déluge visuel ce qui relève de l’effet spécial ou de la réalité, tels ces trois ministres en suspension dans d’énormes bulles de savon lorsqu’ils évoquent leur vie rêvée. Mais évidemment tout cela est très spectaculaire et souvent bluffant. À sa première apparition, Turandot a l’air de sortir d’un tableau symboliste avec sa tiare lumineuse et son immobilité d’icône. Altoum, cuirassé d’or et perché en haut de son escalier virtuel, a tout du magot ou du robot tandis que Liù a pris les traits d'une héroïne de manga, Timur restant le vieillard fragile et digne de la tradition. Le chœur et les personnages secondaires portent tous des lunettes lumineuses symbolisant sans doute leur aliénation et pour Calaf son aveuglement. Sur le plan esthétique, le spectacle peut paraître d’une grande modernité mais la vision reste en fait parfaitement classique. Seule, en fait, la conclusion offre une lecture en rupture avec la tradition. En effet, ce n’est pas un baiser que Calaf arrache à Turandot, mais sa tiare. Il la contemplera de façon extatique jusqu’à la fin de l’opéra comme si cet objet (symbole du pouvoir ?) était l’objet de son triomphe plus que le corps de la Princesse de glace. Turandot, quant à elle, débarrassée de son accoutrement d'idole, en est réduite à contempler, dans une sorte de pietà entièrement féminine, le cadavre de Liù avant de proclamer sa découverte de l’amour, entrainant la métamorphose de l'univers robotisé du début en un monde humain de chair et d'âme. L'allusion au machisme et le refus de faire dompter « sexuellement » la femme rebelle au désir masculin (« Nessun m'avrà ») est clairement lisible dans cette fin un peu bizarre et en contradiction avec le livret.
Dans le rôle-titre dont elle est une grande spécialiste, Iréne Theorin met un peu de temps à stabiliser une émission qui parait vacillante dans la scène des énigmes mais se révèle pleinement dans celles du troisième acte où sa grande voix dramatique sait trouver de belles nuances expressives. Si les aigus de Calaf ne lui posent aucun problème, Jorge de León parait toujours un peu tendu face une large tessiture dont le centre le met à rude épreuve, ce qui ne l'empêche pas de faire un triomphe dans le célèbre « Nessun dorma », remarquablement maîtrisé. Comme le laissent entendre les applaudissements au rideau, la plus belle performance reste celle d'Ermonela Jaho, particulièrement émouvante en Liù qu'elle incarne dans un mélange subtil de fragilité et d'affirmation de soi avec un timbre splendide et de magnifiques nuances. Le solide Alexander Vinogradov et les trois ministres offrent des performances honnêtes mais peu marquantes tandis que le Mandarin de Michael Borth, décalé dans sa première intervention, retrouve ses marques au deuxième acte. Avec les restes de sa voix exceptionnelle de baryténor, Chris Merritt offre à Altoum beaucoup d'autorité et un beau relief. D'excellents chœurs, un orchestre impeccable sous la direction expérimentée de Josep Pons servent particulièrement bien la richesse de la partition de Puccini et offrent à cette production spectaculaire mais inégale un soutien musical sans faille.
A.C