CD Naxos 8.660338-39. Distr. Abeille Musique.
Depuis quelques années la musique de Félicien David pique la curiosité des mélomanes. Après les qualités de sa musique de chambre, celles de ses ouvrages lyriques commence à être reconnues grâce aux initiatives du Palazzetto Bru Zane Centre de musique romantique française - mais pas seulement, comme en témoignent les représentations de Lalla Roukh en janvier 2013 dans l'Etat de Washington DC, par l'Opera Lafayette. Cette coïncidence est le signe d'un réveil attendu comme l'ont été ceux de Massenet, de Gounod ou d'Ambroise Thomas.
Si la postérité a associé le nom de Félicien David au Désert, l'ode-symphonie qui le signala à l'attention du public en 1844, les abonnés de l'Opéra-Comique ont plus longtemps cédé aux charmes de Lalla Roukh (1862), fidèlement adapté par Carré et Lucas du conte orientalisant de Thomas Moore. Comme David semblait fait pour l'exotisme, on conçoit que cet ouvrage soit en tête de sa production lyrique devant La Perle du Brésil, Herculanum et Le Saphir.
Pourtant la part de la couleur locale reste très secondaire et c'est par la simple éloquence d'une inspiration mélodique soutenue, par les raffinements d'une instrumentation aux couleurs pastel et des touches harmoniques aussi discrètes qu'efficaces que Lalla Roukh séduit toujours. La partition se situe - en date comme en style - entre Philémon et Baucis de Gounod et Djamileh de Bizet ou La Princesse jaune de Saint-Saëns. Quoique la personnalité artistique de David soit moins puissante, tous les numéros sont réussis, de la romance mélancolique aux couplets bouffes, en respectant les formes en usage sans en être victimes, comme il arrive chez Thomas ; et les chœurs, traités avec l'adresse d'un praticien, s'immiscent naturellement.
L'argument n'est qu'un prétexte : soucieux d'être aimé pour lui-même, Noureddin, roi de Bukhara, se déguise en ménestrel pour faire la cour à sa fiancée, Lalla Roukh, fille de l'empereur des Mongol. Il y réussit grâce à la complicité de la servante Mirza qui détourne l'attention de Baskir, gardien de la vertu de la princesse. En somme, deux rôles nobles et tendres, bien centrés (mi / la), qui sollicitent davantage la musicalité que les prouesses vocales, et deux rôles comiques où les qualités théâtrales ne suffisent pas : soprano léger dans son grand air à roulades « Si vous ne savez plus charmer », Mirza devient mezzo dans son duettino avec Lalla Roukh, tandis que Baskir doit avoir les moyens d'une basse chantante.
Sauf Emiliano Gonzalez Toro qui possède toutes les qualités d'un ténor d'opéra-comique, la distribution rend justice à l'œuvre sans retenir l'attention par elle-même. La sonorité « boisée » des instruments d'époque, l'inégalité naturelle des cors sans piston pimentent cette nouvelle découverte (après Le Déserteur et Le Roi fermier de Monsigny) sous la direction alerte de Ryan Brown.
G.C.