Véritable festival mozartien, Salzbourg justifie cette appellation – outre la production annuelle présentée à la Haus für Mozart - par une série de Mozart-Matinee où l’on peut entendre le répertoire symphonique, la musique sacrée et des œuvres de jeunesse du wunderkind Wolfgang.
« Sérénade en deux actes » créée en 1775 à Salzbourg pour une visite impériale, Il re pastore est une célébration du bon gouvernant, qui règne avec justice et humanité. Aminta, jeune berger d’ascendance inconnue, est épris de la nymphe Elisa. Mais Alexandre accompagné d’Agénor reconnait en lui l’héritier du trône de Sidon, alors vacant puisqu’il vient d’en chasser l’usurpateur Straton. Pour consolider le royaume, Alexandre décide de conclure une union dynastique en mariant Aminta à Tamiri, la fille de Straton. Mais Tamiri aime Agénor, qui l’aime en retour. Aminta, partagé entre ses nouveaux devoirs de roi et sa fidélité promise à Elisa, préfère renoncer au trône. Face aux suppliques des amoureux, Alexandre ému par tant de probité et de fidélité décide de marier les couples originaux et de donner un autre royaume à Agénor et Tamiri qui ont fait preuve d’une vertu digne de la couronne.
Sincérité, simplicité, fidélité et dévouement à sa charge, le livret brosse le portrait idéal du despote éclairé. L’action est simple, aucun personnage malfaisant ne s’oppose aux héros, les obstacles sont « mous » et facilement surmontés. La pièce de circonstances aligne les airs pour exprimer des affects simples : la joie pastorale, l’amour innocent, la douleur, l’autorité, la concorde retrouvée et la liesse générale. Le livret, limpide, agence ces évolutions morales avec efficacité, les tourments intérieurs se passent d’action sans donner le sentiment de s’enliser. Sur ce livret, Mozart a composé une musique tributaire de l’opera seria italien, rehaussée de complexités formelles toutes viennoises ; il fait aussi une incursion dans le style Sturm und Drang dans l’air de désespoir d’Agénor qui voit Tamiri lui échapper. Les airs ont des couleurs variées – notamment grâce à une instrumentation soignée (trompettes pour Alexandre, violon obbligato pour l’air d’Aminta « L’amerò sarò costante ») – les reprises ornées, et l’ensemble bénéficie ce matin-là de récitatifs avantageusement raccourcis par Birgit Kajtna, ce qui évite toute dilution de la tension.
Emöke Baráth chante Aminta avec style. Son timbre corsé colore des vocalises déliées grâce auxquelles elle module et nuances les affects du personnage. Nikola Hillebrand lui donne la réplique en Elisa bien en voix. Homogène sur toute la tessiture, pourvue de vrais graves, la soprano allemande vocalise aussi avec grâce, et donne à son personnage toute l’ampleur de la jeune bergère résolue à confronter Alexandre. Julie Roset fait scintiller son bref rôle en usant avec intelligence de sa maîtrise du style baroque, plus souvent souffrante et tourmentée qu’heureuse dans un séjour bucolique, la soprano pare Tamiri de quelques teintes tragiques. L’Agénor de David Fischer a la ligne haute et claire. On apprécie la souplesse d’un chant bien mené – qui se distingue par une excellente prononciation italienne – et très stylé, le chanteur sait aussi doser le soupçon de vaillance qu’il faut au personnage pour clamer son désespoir de voir Tamiri lui échapper. Enfin Daniel Behle affronte les trois airs d’Alexandre hérissés de difficultés. La voix un peu ambrée a les couleurs du conquérant expérimenté et le chanteur a le souci du style, mêmes si les vocalises pourraient être plus éclatantes.
L’ensemble est mené par Adam Fischer qui dirige l’orchestre du Mozarteum. Très à l’aise dans Mozart, l’orchestre en fait valoir les couleurs et quelques joliesses instrumentales. Sans imposer une lecture particulièrement saisissante, Adam Fischer tient l’ensemble et assure le théâtre, permettant une représentation matinale particulièrement réjouissante.
J.C.