Carlos Álvarez (Rigoletto), Javier Camarena (Duc de Mantoue), Desirée Rancatore (Gilda), Ketevan Kemoklidze (Maddalena), Ante Jerkunica (Sparafucile), Symphony Orchestra and Chorus of the Gran Teatre del Liceu, dir. Riccardo Frizza, mise en scène, Monique Wagemakers, décors, Michael Levine, costumes, Sandy Powell, lumières, Reinier Tweebeeke, réalisation, Stéphane Lebard. Sur le vif, Gran Teatre del Liceu, Barcelone, 2017.
C Major 763708. Notices et synopsis anglais, allemand, français. Distr. DistrArt Musique.
 
Barcelone reprenait en 2017 cette production conçue voici plus de vingt ans auparavant par Monique Wagemakers pour l’Opéra d’Amsterdam. Point d’audaces façon Regietheater à redouter dans cette régie minimaliste réduite à un espace abstrait délimité par une plateforme amovible de 18 mètres de large, versus une volée de marches conduisant vers les cintres où est supposé demeurer le bouffon éponyme. Les chœurs alignés d’emblée dans ladite plateforme sont censés renvoyer par leurs tenues écarlates, librement inspirées des atours italiens de la Renaissance, les fastes oppressants de la Mantoue renaissante. Aux chanteurs de donner vie… et mort à leurs personnages quelque peu désincarnés au gré d’une direction d’acteurs des plus convenues.
 
Le baryton Carlos Álvarez, habitué du rôle-titre et dont nous évoquions dans ces colonnes le prestation londonienne de 2021, n'est certes pas le plus démuni de ceux qui s’y sont mesurés à notre époque. Le père adorateur d’une fille révérée comme une déesse trouve dans une notable raucité du timbre les ressources nécessaires à l’expression de sa haine contre les courtisans. Une relative érosion du medium prive toutefois cette imprécation de son mordant. On se gardera d’écraser cet artiste valeureux sous le poids de références anthologiques, en soulignant ce qu’il nous offre par ces temps de disette verdienne. Pour ses débuts en Duca di Mantova, le ténor mexicain Javier Camarena sait, lui, pouvoir compter sur le brillant donizettien de ses aigus, contre- compris, comme sur une alacrité de couleur et de ligne fort bien venues dans la mythique « Donna e mobile ». L’étroitesse originelle du timbre et le surlignage des forte par lesquels il cherche à les compenser, ôtent hélas à sa ligne une rigueur que Verdi attendait de voix plus matures. La déception majeure tient au manque d’adéquation de la soprane sicilienne Désirée Rancatore, hier révélée dans Mozart, mais qui ne trouve ici pratiquement jamais les inflexions, la ductilité sans mièvrerie ou le délié néo-belcantiste de Gilda.
 
Souvent portée aux nues, la direction de Riccardo Frizza nous laisse partagé. Trop d’affèteries crypto-rossiniennes, de tempi contrastés jusqu’à l’ébriété, maints décalages dans les ensembles, malmènent une partition tiraillée sans raison entre deux époques. Ni l’orchestre ni les chœurs ne déméritent pour autant, pas davantage que les rôles secondaires habilement assurés. Un DVD appelé à prendre une place modeste au sein de la centaine de captations, audios ou visuelles de l’ouvrage !
 

J.C

A lire : notre édition de Rigoletto/L'Avant-Scène Opéra n° 273