DVD Arthaus Musik 102 187. Distr. Harmonia Mundi.
L'univers stylisé - ou faut-il dire de styliste ? - dans lequel se meut la Butterfly de Vincent Boussard n'a plus grand chose à voir avec le Japon des années 1880 de l'histoire originale. Il en reste quelques allusions et quelques traces au premier acte dans les costumes (assez laids) de Christian Lacroix, et dans certains accessoires comme le fauteuil Chesterfield qui marque l'occidentalisation fantasmée de la petite geisha au deuxième. Mais le côté high tech du décor que les jeux de lumière colorent au fil des scènes dans un esprit qui n'est pas sans évoquer Bob Wilson, les hauts panneaux coulissants parsemés de pavots, tout cela semble nous situer dans une sorte de loft contemporain. Beaucoup d'éléments dramaturgiques posent question : que signifie et où mène cet escalier à vis qui traverse l'espace scénique de bas en haut et que Pinkerton gravit douloureusement dans la scène finale ? Pourquoi l'enfant de Butterfly n'est-il qu'un baigneur de celluloïd que Suzuki range dans un immense placard plein de poupées, d'où il tombera décapité au moment où l'héroïne, au lieu de se suicider, se contentera de disparaître en coulisses ? Cette relecture symbolisée et, d'après le metteur en scène, symboliste et universelle, qui sûrement au théâtre devait posséder une fascination propre, a beaucoup de mal à passer au prisme de la vidéo.
Elle n'est sauvée que par la force de la direction d'acteurs et singulièrement par la Butterfly d'Alexia Voulgaridou, au jeu très physique. Dès sa première apparition et malgré un costume bien peu seyant qui lui donne un air de petite vieille, la soprano grecque captive. Le timbre sombre, la façon d'investir chaque mot font penser à Callas dont elle a apparemment retenu les leçons dans la façon d'incarner vocalement son personnage. La voix est à la fois puissante, légère et souple, et si la poupée de la première scène est assez peu crédible, les deux derniers actes sont d'une force sidérante. Autour d'elle la distribution se révèle de très grande qualité. Dans le rôle un peu sacrifié de Pinkerton, le ténor roumain Teodor Ilincai possède un matériau vocal très séduisant et donne beaucoup de relief à son personnage que sa jeunesse réussit à ne pas rendre complètement antipathique. Le reste de la distribution - la Suzuki chaleureuse de Cristina Damian, le Sharpless élégant de Lauri Vasar et l'ensemble des petits rôles - possède beaucoup de présence mais l'autre élément majeur de cette version reste la direction très inspirée d'Alexander Joel à la tête d'un orchestre philharmonique de Hambourg à la sonorité raffinée. La qualité musicale de l'ensemble est telle qu'elle réussit au final à imposer cette vision un peu glacée et énigmatique dont le plus grand mérite est de nous donner l'occasion de découvrir une interprète très attachante dans le plein épanouissement de son tempérament artistique.
A.C.