Maria Teresa Leva (Mimì), Iván Ayón-Rivas (Rodolfo), Hasmik Torosyan (Musetta), Massimo Cavalletti (Marcello), Tommaso Barea (Schaunard), Alessio Cacciamani (Colline), Matteo Peirone (Benoît/Alcindoro). Orchestre et chœur du Teatro Regio de Turin, dir. Daniel Oren, mise en scène : Paolo Gavazzeni et Piero Maranghi (Turin, 2021).
Art Haus 109458. Pas de livret d’accompagnement, sous-titres français. Distr. UVM Distribution.
Initialement prévue pour mars 2020, cette production dut attendre le début de l’année suivante avant d’être donnée au Teatro Regio de Turin, hélas privé de tout public en raison de la pandémie. Les caméras ont fort heureusement immortalisé ce spectacle qui coïncidait avec les 125 ans de La Bohème, dont la création avait eu lieu dans l’ancien Teatro Regio de Turin, rasé par les flammes en 1936. Loin de toute relecture ou transposition, c’est plutôt à une reconstitution très fidèle que l’on nous convie, réalisée grâce aux précieux documents de la collection iconographique des archives historiques Ricordi (éditeur de l’œuvre). Décors et costumes sont donc ceux dessinés par Adolf Hohenstein (1854-1928), important artiste allemand déjà associé à Puccini pour Le Villi (1884), Edgar (1889) et Manon Lescaut (1893) et qui allait enfin être responsable de la scénographie de Tosca en 1900. D’un réalisme ne versant pas dans la démesure spectaculaire comme chez Zeffirelli, cette Bohème nous plonge vraiment dans le Paris de Louis-Philippe, fort bien évoqué par des costumes d’une grande précision historique et par les décors des deuxième et troisième actes. Avec son lacis de ruelles menant au Café Momus, le Quartier latin rappelle les célèbres photographies de Charles Marville, tout comme la barrière d’Enfer, qui se pare de surcroît d’une grande poésie en raison des splendides éclairages bleutés d’Andrea Anfossi. Un peu moins réussie nous semble en revanche la mansarde qui, avec son immense fenêtre et son gigantesque poêle, apparaît réellement surdimensionnée. Soumis à un strict protocolaire sanitaire, Paolo Gavazzeni et Piero Maranghi proposent une mise en scène où, malgré l’absence quasi totale de contacts physiques, la passion est néanmoins palpable. On pense notamment à Marcello et à Musetta dont les mains se rejoignent à l’insu d’Alcindoro et, au quatrième acte, à Rodolfo qui se couche avec précaution près de Mimì, mais sur le côté et très bas sur le lit.
Au sein d’une distribution qui se démarque par sa jeunesse, Maria Teresa Leva est une Mimì de très grande classe qui mérite les plus vifs éloges. Actrice d’une belle sobriété, sa voix large et souple convient merveilleusement au personnage dont elle offre un magnifique portrait. Parfaitement à l’aise dans les passages exposés, elle fait aussi entendre d’exquises demi-teintes, en particulier dans un « Addio, senza rancor » à faire fondre les cœurs. Sans montrer semblable raffinement, le Rodolfo du Péruvien Iván Ayón-Rivas possède un timbre frais, sait soigner son phrasé et campe un poète sensible à souhait, auquel manque cependant de l’aisance dans les aigus. La Musetta de Hasmik Torosyan est pour sa part idéale dans son jeu et son chant, sa valse s’avérant diablement enjôleuse. Nettement plus emprunté, Massimo Cavalletti est un Marcello touchant, dont la solide voix de baryton éprouve cependant quelques difficultés dans l’aigu. Les mêmes remarques s’appliquent à la basse Alessio Cacciamani, qui campe un Colline asez peu mémorable. À l’inverse, Tommaso Barea est un Schaunard truculent qui a du vif-argent dans les veines et dont la voix somptueuse de baryton fait grande impression. Chœur et orchestre du Teatro Regio se hissent à un niveau remarquable sous la direction de Daniel Oren, qui souligne avec bonheur les longues phrases mélodiques de Puccini et confère beaucoup d’énergie au deuxième acte. On s’explique d’autant moins sa direction anémique dans un troisième acte d’une lenteur désespérante et périlleuse pour les chanteurs. Cela dit, cette version, loin de s’adresser aux seuls nostalgiques d’un âge révolu, offre une interprétation qui comble une grande partie de nos attentes.
L.B