Bejun Mehta (Silla), Eleonora Bellocci (Ottavia), Samuel Mariño (Postumio), Valer Sabadus (Metello), Roberta Invernizzi (Fulvia), Hagen Matzeit (Lentulo), Mert Süngü (Crisogono), Coro Maghini, Orchestre du Festival d’Innsbruck, dir. Alessandro De Marchi.
CPO 555 586-2 (3 CD). 2022. Notice en anglais. Distr. DistrArt Musique.
Sur la trentaine d’opéras composés par Carl Heinrich Graun (1703-1759), trois au moins doivent leur livret à un illustre amateur : le roi Frédéric II de Prusse, dont Graun était le maître de chapelle. Excellent flûtiste, compositeur passable, Frédéric n’hésitait pas à insérer des airs de sa plume dans les ouvrages de son employé ; mais, pour Coriolan, Silla et Montezuma, il alla plus loin, rédigeant lui-même ces drames en français avant de les faire traduire en italien par le médiocre poète de la cour, Tagliazucchi.
Avouons-le, le résultat n’est pas fameux. Prenons ce Silla (1753), dont le sujet est identique à celui du futur Lucio Silla de Mozart : aux côtés du trio de protagonistes (le dictateur Sylla, la femme qu’il convoite, l’amant de celle-ci), s’y agitent pas moins de quatre « conseillers » judicieux ou pernicieux, qui n’apportent guère à l’intrigue dont le découpage s’avère maladroit : par exemple, l’acte ultime ne contient que quatre airs – dont deux de l’héroïne. La musique de Graun reste, elle, d’une haute qualité, tantôt suave, tantôt rageuse dans les dix-huit arie, puissante dans les quatre grands récits accompagnés et les trois ensembles, finement instrumentée (les flûtes s’y taillent bien sûr une part… de roi) et vocalement flatteuse.
La présente lecture a été enregistrée (en plusieurs fois) en marge de représentations au Théâtre du Tyrol d’Innsbruck : excellent choix, qui nous épargne scories et applaudissements tout en préservant la fièvre théâtrale. Néanmoins, la prise de son a été effectuée de fort près, notamment en ce qui concerne les chanteurs et le continuo ; l’écriture de Graun étant souvent tendue dans l’aigu, et l’émission de plusieurs interprètes trop pharyngée, émise aux alentours du nez, cela nous vaut un certain nombre de notes aigres…
La distribution ne compte en outre que des voix hautes : trois contreténors, un sopraniste, deux sopranos et un ténor. Seul le timbre de ce dernier Mert Süngü, s’avère franchement séduisant (même s’il a tendance à tout chanter forte) : quel panache dans son air de fureur de l’acte II ! Mais les autres font aussi crânement face et, malgré les réserves que suscitent l’ornementation d’un Mehta, le vibratello d’une Bellocci ou les suraigus d’un Marino, la démonstration technique apparaît ici mise au service d’une véritable incarnation.
Il faut dire qu’Alessandro De Marchi – poursuivant son heureuse collaboration avec Innsbruck et CPO, qui nous a déjà valu une belle Idalma de Pasquini – s’est rarement montré aussi convaincant. Aidé d’un orchestre polychrome, le chef italien sert avec flamme et parfait sens du rythme la musique d’un compositeur qu’il semble aimer sincèrement, dont il souligne les finesses et attise les contrastes (notamment dans le duo « Barbaro traditore »).
Espérons que De Marchi se penchera prochainement sur Montezuma (1755), dont on attend toujours une intégrale digne de ce nom…
O.R