CD Naïve V5373. Notice et livret en français. Distr. Naïve.
Le plus tragique des opéras de Haendel (1724) continue à fasciner les interprètes, à leur inspirer de divins accents - et à leur échapper d'un cheveu ! Malgoire (Sony, 1983) et Gardiner (Erato, 1985) s'y sont autrefois cassé les dents tout en y laissant d'incontournables témoignages et si, plus récemment, Petrou (MDG, 2006) en a donné une convaincante lecture, c'est au prix du relatif sacrifice du bel canto. Minasi semble faire le choix inverse, son affiche frappant, à l'acte I, par sa somptuosité - c'est après que les choses se gâtent...
Mais un mot d'abord de la « version » choisie qui, une fois encore, se refuse à donner l'intégralité de la partition, il est vrai composite, imprimée par Chrysander. Petrou faisait choix de la mouture originelle ; Minasi invoque la reprise de 1731 - se bornant, en fait, à insérer le spectaculaire « Nel mondo e nell'abisso » (donné par Petrou en appendice), tout en sacrifiant, hélas, le magnifique duo de contre-ténors « Coronata di gigli » (conservé par Malgoire) et le poignant « Sulla sponda del pigro Lete » de Bajazet (inséré par Gardiner). à l'instar de ce choix discutable, les (légères) coupures çà et là opérées - dans les récits, surtout - laissent perplexe car elles ne servent pas une réelle vision d'ensemble : les récitatifs manquent parfois de naturel, les césures entre les morceaux (dues au montage ?) désarçonnent et les réussites stupéfiantes (entrée et mort de Bajazet, « Deh lasciatemi » d'Asteria) alternent avec des sortes d'absences (le Trio, la fin de l'acte II) ou de coupables maniérismes (rôle d'Irene : un clavecin bavard dans « Par che mi nasca », un inexplicable recours au parlando dans « No, che sei tanto costante »). On sent le chef parcouru de superbes intuitions mais inhibé par le souci de servir les chanteurs et de rendre expressif un orchestre sous-dimensionné (une vingtaine de musiciens dont sept maigres violons).
On l'a dit, la distribution impressionne d'abord. Gauvin apparaît d'ailleurs de bout en bout magistrale (densité du médium, beauté du legato, ferme appui sur les consonnes, variété des textures) mais sans doute trop sûre d'elle pour son rôle d'enfant déchirée. Confronté à un rôle grave (celui de Senesino) et prioritairement élégiaque, Cencic retrouve toute son assise et nous épargne les effets expressionnistes qu'il a pu laisser ailleurs échapper, tandis que l'opulente Donose confère une belle stature à Irene. Un peu perdu de vue ces temps-ci, Ainsley se montre toujours excellent styliste mais l'autorité, le bas-médium, le découragement existentiel de Bajazet échappent à ce timbre clair. Celui de Sabata possède bien la noirceur qui convient à Tamerlano mais l'émission trop molle, passive, et la virtuosité limitée (« A dispetto » a d'ailleurs été prudemment élagué) nous font regretter Ragin. Peut-être n'a-t-il manqué à cet essai prometteur que l'expérience de la scène pour être transformé ?
O.R.