Joyce DiDonato (Juliette), Cyrille Dubois (Roméo), Christopher Maltman (Père Laurence). Chœur Gulbenkian, Chœur de l’OnR, Orchestre philharmonique de Strasbourg, dir. John Nelson (Strasbourg, salle Erasme, 3-9 juin 2022).
Erato-Warner 5419748138. 2 CD. Présentation trilingue (fr., angl., all.), livrets en français. Distr. Warner.
Après Les Troyens et La Damnation de Faust, voici Roméo et Juliette, toujours enregistré à Strasbourg. Il a aussi enregistré Benvenuto Cellini, le Te Deum, le Requiem, Harold en Italie… John Nelson s’acheminerait-il, tel Colin Davis avant lui, vers une intégrale Berlioz ? Elle serait de la meilleure eau. De la « symphonie dramatique » il a, fidèle à lui-même, scruté les lignes et les plans jusque dans le détail, d’une transparence idéale. La direction conjugue l’art du récit et le sens des couleurs – Roméo au tombeau, par exemple. La scène d’amour révèle un travail en profondeur sur la pâte sonore autant que sur la polyphonie, l’orchestre alsacien se hissant toujours très haut même si l’on garde en mémoire Londres, Vienne ou Boston… Certes, on n’entendra ici ni bruit ni fureur, mais plutôt une plasticité apollinienne : il faut ailleurs chercher la folie d’un romantisme flamboyant – d’aucuns pourront trouver un peu sage la Grande Fête chez les Capulet. Cela n’empêche pas ce Roméo et Juliette de s’imposer, à sa façon, par la fidélité à la partition et la cohérence du propos. Ne la servent pas moins deux chœurs excellents et deux solistes de haut vol, une Joyce DiDonato capiteuse, qui retrouve les langueurs de sa Didon, un Cyrille Dubois aussi délié que la reine Mab. Le troisième, malheureusement, gâche le grand final. Christopher Maltman a beau avoir assimilé le style français, ce n’est pas une basse et la voix a perdu sa stabilité – on attendait ici un Nicolas Courjal ou un Jean Teitgen, pour ne citer qu’eux. En complément, une Mort de Cléopâtre chantée par la mezzo avec une grande intensité, notamment dans des récitatifs dont elle sculpte les mots. Elle ne détrône pas une Janet Baker ou une Jessye Norman, grandioses, n’étant sans doute pas le grand mezzo dramatique ou le falcon attendu – l’Égyptienne annonce Cassandre plutôt que Didon – mais elle incarne du coup une reine plus jeune, plus fragile.
Didier van Moere